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ISM France - Archives 2001-2021

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Palestine -

Transmission générationnelle du traumatisme chez l'enfant palestinien réfugié dans les camps de Cisjordanie

Par

Etude universitaire menée par J.S., psychomotricienne au CHU-Toulouse. Les entretiens avec les enfants ont été réalisés dans les camps de Balata, Qalandya et Jénine en août 2003.

En Palestine, enfants et familles de réfugiés partagent la même histoire sur 3 générations, depuis 1948 : itinéraires chaotiques, de camps de réfugiés en camps de réfugiés, de récits de morts en récits de maisons détruites... d’explosions des corps, des maisons, des… ni dedans, ni dehors...

Transmission générationnelle du traumatisme chez l'enfant palestinien réfugié dans les camps de Cisjordanie


Dans sa maison : l’enfant va se réfugier, mais n’y trouve pas refuge, apaisement, sécurité. La bombe, la roquette, les tirs des tanks… à chaque instant peuvent détruire maison, famille, cet enfant-là.

Près de sa mère, de sa famille, l’enfant va se réfugier, mais n’y trouve pas refuge. Dans chaque famille, un (ou plusieurs) membre est mort, tué, emprisonné…

Dedans, dans son corps, l’enfant ne ressent pas la pesanteur du sentiment d’être. Dedans et dehors du corps, étant à chaque instant comme pouvant être traversé par une balle, un éclat d’obus, un morceau de maison qui écrase le corps… de l’autre… de son corps, lui, l’enfant.

Quand c’est le corps de l’autre aimé, proche ou celui d’un voisin, l’enfant voit comme avalé, aspiré, la béance du corps mort, ouvert aux yeux de tous.

Des fois, le corps est en morceaux, découpé par l’explosion.

Corps mort-là, et vivant quelques instants plus tôt.

Et l’enfant survivant, qui vient d’être traversé par une arme quelconque, dans son corps propre. Quelle image se construit-il, à ces moments précis : avant, pendant, après, puis… les cicatrices sur le corps, le morceau du corps à jamais perdu…

La barbarie de l'armée israélienne génère des traumatismes cumulés et subis par les enfants traumatismes répétés sur 3 générations.

Nous sommes ici dans une transmission mère/bébé, mère/enfant, du traumatisme psychique et des images mortifères d'une rare abomination.

Le couple mère /bébé, parents/bébé, parents/enfant, famille élargie, grands-parents, vont devoir survivre dans la durée, à des temps et des mouvements psychiques de sidération, de désastre, de violence chroniques.... dans une répétition sur 58 année.

L'enfant vit, dans un quotidien où le réel traumatique, l’effroi, le traumatisme psychique, font effraction de façon permanente.
La réalité extérieure effracte le corps, la maison, l’être cher...

L'enfant reçoit en héritage transgénérationnel, le récit de la même effraction, de cette même réalité extérieure porteuse de mort, dans un quotidien permanent de déconstruction.

Dans l’effroi, débordé par l'énormité de la chose, l'enfant est dans une rencontre avec le néant, l'abomination, la terreur sans nom...
Le traumatisme mortifère, l'effraction, l’horreur au quotidien provoquent un véritable désastre psychique chez tous ces enfants.

Tous, sans exception, ont (ou sont en train de) traversé(r), la perte, le deuil de l'être cher, la séparation, la démolition…
Il y a perte du sentiment d'avoir et d'être.

Le petit enfant, le bébé palestinien est très tôt traversé par la “terreur sans nom” au quotidien.

Une “chose” se passe alors, simultanément sur 2 scènes non étanches:
. la vie d'un petit enfant ordinaire
. le fracas mortifère déconstructeur sur ce petit enfant dans le traumatisme.

L’histoire de la famille et de lui, l’enfant, est systématiquement rattachée à :
. l’exode de 1948
. à la vie, la terre d’avant 1948.

Le récit de filiation raconte le même désespoir : exils, exodes, camps, réfugiés, diaspora, morts, villages rasés, parents perdus, errances de camps en camps, de pays en pays...

De tragédies en tragédies, l'enfant a le sentiment de n’avoir aucune terre à soi, sur cette Terre. La transmission de la Nakba (la catastrophe) de 1948 : l’enfant se l’approprie puisque la Nakba racontée, celle des scènes, des images d’horreur décrites par les parents et grands-parents est à l’identique des images d’horreur vécues actuellement par cet enfant-là.

La répétition de l’histoire, sur 58 années, répétition à l’identique de la même histoire, histoire hors temps, histoire hors terre (“ma terre à moi n’est pas à moi”, hors monde “nulle part je peux aller, seulement mort”), hors limite, donne à l’enfant une dimension d’un désespoir sans fin, sans limite, sans issue. L’histoire du père et du fils se fusionne en une seule et même histoire : celle du traumatisme à l’identique sur 3 générations.

Le temps est irreprésentable : rescapés éphémères, incertains, survivants d’un jour encore “Plus tard ? Je sais pas moi, si je suis vivant… (mutisme)… je peux pas parler de ça”.
La continuité temporelle est ici avalée par - la discontinuité des événements qui font traumatisme, fracture, vide, trou – discontinuité qui ne permet aucune anticipation du temps même immédiat.

La temporalité ne peut pas se construire dans du chaos, sans nuit pour dormir, sans jour pour s’éveiller, sans rituels, ni rythmes quotidiens de repas, travail, jeux…

Une a-temporalité se construit alors.. la nuit l’enfant ne dort pas, il a peur d’être tué dans son sommeil, ou du cauchemar, toujours le même... Le déroulement temporel, jour et nuit, va dépendre totalement de l’intervention de l‘armée israélienne : “ils entrent”, ”ils sont entrés”, “ils vont entrer”, “ils sortent” - “ils sont sortis” - “ils reviennent” -"ils tirent chez x"... “un Apache arrive”. Quand l’Apache survole le camp, les réfugiés restent suspendus, hors temps, ne sachant pas ce qui va advenir dans une seconde… des fois il ne se passe rien.…

Ces temps “d’entrées dedans”, “sorties dehors”, simple survol ou survol pour bombarder… ces “ temps ” tombent du ciel, s’engouffrent par les routes et les chemins, effractent tout l’espace de vie humaine. Ces temps sont imprévisibles. La soudaineté est la règle, de même que l’intentionnalité de l’effraction : simple passage ou passage meurtrier ? L’enfant ne le sait jamais. C’est l’explosion, la détonation, le bombardement qui le lui diront.

Hier, aujourd’hui, demain, sont irreprésentables car dans un lien à l'imminence de sa propre mort.

Par contre, l’enfant marque le temps Avant/Après par un traumatisme particulier – exemple : à Jenin Camp, 100% des enfants s’expriment en terme d’Avant et Après la "catastrophe " (avril 2002).

D’autres vont marquer le temps Avant/Après, en intégrant un repère plus familial, plus personnel. Exemple : la mort du père, du frère, l’emprisonnement…
Avant quand mon père était vivant… après quand ils l’ont tué à la maison devant moi…”

D’autres… Avant/Après leur propre blessure : “Avant quand j’avais mon œil… après que je l’ai perdu à cause d’une balle…”

Les enfants traumatisés ne peuvent pas effacer l’image traumatique omniprésente dans leur mémoire.

La nuit je m’empêche de dormir à cause du cauchemar et puis c’est la nuit qu’"ils"font les choses les plus horribles”. S’endormir, c’est ne pas être sûr de se réveiller, de revenir au monde vivant, alors l'enfant ne dort pas.

Le temps est alors dé-construit, délié, démoli, indéchiffrable, non lisible, c’est le temps du “pire du pire”.

Les dessins :

L’enfant a du mal à dessiner le traumatisme, la possibilité de penser le chaos. Lâcher en traces graphiques les morceaux du chaos, à dessiner des contours, des bords aux images éclatées de son vécu.

Pourtant quand c'est possible, le dessin devient alors un passage par où l’impensable passe en forme graphique. Un lien vient à se tisser entre le vertige central de l’enfant et la feuille blanche. A l’encre, au feutre, un" fil" dépose sur le papier, en trace définitive, la dé-liaison, la cassure que produit le traumatisme d’une réalité vécue autour du désastre.

C’est alors comme s’il fallait donner forme et contour graphique à l’informe, au déconstruit psychique et réel. La page blanche devenant le lieu où déposer la chose.

Les enfants :

29 enfants, de 7 à 13 ans vivant dans 4 camps de réfugiés: Qalandya, Nurshams, Balata, Jenin-camp :
. enfants subissant des traumatismes
. vivant en camps de réfugiés dans leurs familles, elles mêmes réfugiées dans le même camp depuis 3 générations- ou réfugiées de camps en camps : exode de 1948, exode de1967, intifada de 1987 à1991, intifada depuis septembre 2000...

. Pour 25 enfants sur 29, la rencontre a été envahie par la présence active, là, tout près, dans notre rue, de l’autre côté du mur de notre bureau… des tanks qui vont, viennent, s’arrêtent dans un fracas indescriptible. Parfois leurs canons tirent. Régulièrement, et de jour, les Apaches survolent les 2 camps de Balata et de Jenin. Apaches et bombardiers sont vécus dans une angoisse extrême, dans une attente de l’événement tragique, définitif. L’enfant sort du temps habituel de vie, il se place dans un temps que nous appellerons, faute de mot " temps blanc ". Les enfants écoutent, tous les enfants palestiniens écoutent dans une hypervigilance auditive, les bruits qu’ils reconnaissent, en spécialistes puisqu’ils sont nés avec le vacarme des tanks, Apaches, bombardiers bien différenciés.

. L’avidité des enfants à dire le traumatisme est énorme. La souffrance sans limite est leur vécu quotidien. Ils se saisissent tous de ces moments, en présence de cet autre pour tenter une mise en parole, une ébauche de représentation graphique du non représentable.

Comment lire le dessin de la maison de l’enfant palestinien?

Exemple de Jenin Camp : 60 % des maisons dessinées détruites. Si l’on additionne détruites + menacées + partiellement détruites, nous obtenons 93,2 % à Jenin Camp de maisons dessinées déconstruites.

L’enfant dessine ce que la réalité extérieure quotidienne lui impose : effraction, explosion...

Mais c'est alors 3 maisons en une que l'enfant dessine :
. la maison où il fait bon vivre dedans, et sortir dehors. Celle du refuge sécurisant, avec ses doudous, nounours, jouets, crayons, nourriture, le lit pour dormir, papa, maman...
. la maison réelle, la leur, effractée, détruite, celle du corps de maison insécure et tremblant...
. et la maison de la terreur sans nom, pulvérisée, explosée ou menacée de le devenir, réalité, lieu dans lequel d’autres y sont morts écrasés. Cette maison est dangereuse. Maison structurée, vivante, puis détruite en quelques secondes par une bombe, un tank, réduite dans le vertige d’un seul instant, à un "tas".

Comment lire le dessin de la famille ?

Certains membres de la famille ont disparu (morts, emprisonnés), d’autres ont été abattus devant l'enfant, d'autres sont amputés d’un morceau du corps…

De nombreux pères sont hospitalisés en dépression grave. Pour d’autres enfants c’est la menace de la perte du parent qui réactive une angoisse débordante, mais aussi une culpabilité : "Moi je suis le seul à Jenin Camp qui a encore ma maison entière et toute ma famille". Comme le dessin d’une maison, celui de la famille est indissociable de la terreur permanente.

La représentation graphique du corps humain est en "croix, en allumettes", sans dedans ni dehors. Le corps humain est "en hâte" dessiné mort/vivant ou vivant/mort...

L’enfant ne parvient pas à donner forme à l’informe, aux perceptions des corps morcelés, aux images explosées, fragmentées, dangereuses, éclatées, aux limitations et contours perforés, à la massivité morbide, effractante, étouffante.

Dans le dessin de la famille en particulier, la perte (où la menace/angoisse de perte) de l’objet d’amour est représentée par le corps sans intériorité.

Ces enfants sont tous des enfants surtraumatisés. Nous ne sommes plus dans du seul post traumatique, mais dans du traumatisme omniprésent, permanent.

- Dessin libre : Les thèmes de guerre confirment l’effraction, la rencontre avec le chaos, le néant, le morcellement, l’éclatement des images, la cassure.

Les dessins sont tous empreints d’une profonde dépression, d’un profond désespoir. Enfant perdu mais dans une prison. Enfant clos sur lui-même, sans issue, encerclé.

Ce travail met en relief le processus de transmission générationnelle du traumatisme sur plus d'un demi-siècle.
L'effraction, l'image mortifère du corps, le traumatisme dont le sujet-enfant est victime, sont totalement indissociables des mêmes attaques subies par la communauté entière à laquelle l'enfant appartient.

Le traumatisme est enkysté dans le passé-présent de l'enfant, enkysté dans le passé - présent historique et transgénérationnel du peuple palestinien.

Image mortifère du corps et traumatisme sont l'expérience collective du peuple palestinien, expérience inscrite dans le vécu quotidien et la généalogie de l'enfant.

L’enfant se construit alors (dans ce qu’il a de construit) autour d’un effondrement central, au cœur duquel un noyau têtu, rebelle et persistant demeure : le regard de la mère, la voix du père qui ont fait, font barrière, MUR de résistance psychique à l’envahissement total de l’effondrement.

Les lecteurs intéressés par l'étude complète (100 pages) peuvent se la procurer en appelant le : 06.71.71.25.58

Toute traduction de cet extrait (ou de la totalité de l'étude) en anglais et/ou arabe est la bienvenue, de manière à pouvoir restituer ce travail aux Palestiniens qui ont accepté qu'il soit mené.

Source : Palestine Info

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