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ISM France - Archives 2001-2021

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Palestine -

"Le dialogue futile" : une stratégie sioniste

Par

Doc Jazz est un chirurgien/musicien réfugié palestinien qui vit dans le Golfe arabique. Il est connu pour son style de jazz-pop et les textes engagés de ses chansons dont la plupart sont consacrées à la cause palestinienne. On peut en écouter une centaine sur son blog, The Musical Intifada, créé en 2001, ainsi que lire ses articles sur la Palestine.

La lutte pour les droits palestiniens a toujours opéré sous une pression intense. La machine de guerre sioniste n'a jamais cessé sa dérive expansionniste depuis qu'elle a planté de force ses racines illégales dans le sol palestinien au début du 20ème siècle et n'a jamais changé de modus operandi. Elle a toujours associé l'agression militaire impitoyable, le nettoyage ethnique et le vol des terres avec un récit construit sur des euphémismes trompeurs comme "progrès", "civilisation", "démocratie", "sécurité" et "paix". Jamais il n'y eut dans l'histoire de l'Etat sioniste de période où le meurtre et l'expansion perpétrés en uniformes militaires n'ont pas été expliqués comme "auto-défense contre le terrorisme" par des hommes en costards élégants et chers avec cravate assortie à la chemise.

'Le dialogue futile' : une stratégie sioniste

28.09.1995 - Yitzhak Rabin, Hosni Mubarak, Hussein de Jordanie et Bill Clinton réajustent leurs cravates avant de braquer Yasser Arafat comme des malfrats avant la cérémonie de signature de la phase II des Accords d'Oslo. (Photo bureau de Presse de la Maison Blanche)
Il est peut-être vrai que des activistes pro-Palestine convaincus ne sont pas dupes, et voient infailliblement à travers cette mascarade bien rodée. Néanmoins, un front plus insidieux dans la guerre des esprits a toujours existé en arrière-plan, contre lequel beaucoup d'entre eux ne sont pas toujours à l'abri. Pour l'expliquer, je l'appellerai la "stratégie du dialogue futile" et il ne faut pas écarter trop vite les effets de cette tactique sioniste en la jugeant hors sujet. Après tout, des intervenants publics, des hommes politiques et des militants sont enclins à succomber aux effets déroutants de ce front. Ce sont eux qui participent au formatage de la perception du conflit par l'opinion publique, qui influe en retour sur les décideurs politiques en remontant les échelons des gouvernements nationaux et des Nations-Unies.

L'intellectualisation de la question

Les discussions sur la "tragédie de deux peuples luttant pour la même terre" sont parfois de bonnes affaires, et certains des "experts de la paix" renommés en sont tellement conscients qu'ils en font leur gagne-pain comme écrivains, conférenciers et orateurs. L'Etat sioniste dépense beaucoup d'énergie et d'initiatives pour maintenir en place cette stratégie et cela ne devrait surprendre personne que ce soient les sionistes qui tirent le plus de profit de cette "intellectualisation" de la question.

Et ce n'est pas surprenant, si vous analysez qui a le plus intérêt à éloigner la question d'une injustice existentielle perpétrée par une armée et un appareil politique puissants contre une population sans défense, vers une représentation fausse de la question comme un "conflit" tragique entre deux peuples épris de paix. Une fois que cette distorsion essentielle de la réalité a été établie comme point de départ de la discussion, la stratégie du dialogue futile bat son plein, et le scénario pour d'interminables discussions, conférences et dialogues est posé.

Une analogie pertinente

Si l'illustration est trop abstraite de la manière décrite plus haut, faisons alors une analogie claire et facilement compréhensible qui aidera à clarifier les choses. Supposons que le domicile d'une famille est envahi par une autre famille, et que cette dernière a jeté à la rue la majorité des membres de la famille envahie, et qu'elle en a gardé quelques-uns enfermés dans la pièce la plus petite de la maison. L'autre famille a pris toutes les mesures nécessaires pour empêcher le retour des membres de la famille expulsés, tout en gardant le contrôle total de la nourriture et de l'eau auxquels les membres restant auraient droit.

Dans cette situation, il est absolument clair que les autorités doivent intervenir ou qu'à tout le moins il faut soutenir les propriétaires originaux de la maison dans leur lutte pour récupérer ce qui leur appartient. Y a-t-il intérêt à en discuter ? Bien sûr que oui - pour les envahisseurs. Pour eux, tout ce qui distrait de l'illégitimité de l'invasion de cette maison et de l'expulsion de la famille y résidant est par définition un avantage. Si ces discussions parviennent à se concentrer sur ces fondamentaux, alors c'est gagné. Dans ce contexte, c'est le slogan favori des sionistes qui joue : "Si vous ne pouvez pas les convaincre, embrouillez-les."

Le dialogue futile comme forme de guerre

En fait, les sionistes ont développé cette méthode de guerre verbale et l'ont hissée à un niveau si élevé qu'elle a culminé dans une de leurs plus importantes stratégies de colonisation vers la fin du 20ème siècle et a formé l'essence de leur motivation à entrer dans les accords d'Oslo. Ils se sont servi de l'illusion de discussions interminables (qu'ils ont présentées comme "négociations") sur des "solutions" possibles pour confisquer des milliers d'hectares de terres palestiniennes, construire un réseau de routes réservées aux colons juifs et tripler la population coloniale en agrandissant les colonies illégales existantes jusqu'à en faire de véritables villes. Faut-il une illustration plus forte de ce que j'essaie de faire passer ?

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A combien de débats et de séminaires avez-vous assisté où les deux côtés étaient représentés avant l'ère Oslo ? Avez-vous remarqué combien ils étaient répandus, pendant cette période ? Avons-nous constaté le moindre résultat de ces débats innombrables et sans fin ? Oui, malheureusement, nous les avons vus : davantage de terre palestinienne volée, davantage d'oliveraies palestiniennes déracinées, davantage de Palestiniens nettoyés ethniquement de Jérusalem, et tous les autres effets dévastateurs que vous voyez aujourd'hui si vous faites le tour d'une région appelée la "Cisjordanie".

Contrer la stratégie

Dans de nombreuses réunions militantes, j'ai toujours essayé de propager un moyen de désamorcer cette tactique sioniste, qui fonctionne réellement si elle est mise en œuvre. Je l'ai simplifiée dans un axiome utile : ne jamais parler à un sioniste, mais toujours parler du sionisme aux autres.

Je suis bien conscient que dans de nombreux cas, ce conseil tombera dans les oreilles de sourds - les gens, après tout, aiment parler - mais je crois que ceux qui n'en ont pas vu la valeur ont mal compris l'analogie avec la famille envahie décrite plus haut. Croyez-vous réellement que la cause de la famille évincée et dépossédée bénéficiera de joutes verbales avec des gens qui maintiennent - contre le bon sens le plus basique - que jeter dehors les habitants légitimes d'une maison est parfaitement légitime ? Lisez et relisez l'analogie et réfléchissez. Une fois que vous réaliserez que celui qui tire le plus de bénéfice de palabres sans fin sur des questions qui ne sont pas centrales ne peut être que la partie envahissante, vous reconsidèrerez peut-être la manière dont vous dépensez votre énergie.

Nous devons nous libérer des entraves du dialogue forcé. Nous devons concentrer notre énergie et nos efforts à exposer devant la communauté mondiale les décennies d'injustices continuelles auxquelles notre peuple a été soumis - livré à lui-même, sans protection et même dans la majorité des cas non entendu. Des milliers de sionistes dans le monde sont payés par le gouvernement israélien pour se lancer dans la propagande médiatique, et il vaut mieux dépenser votre énergie à veiller à ce que les mensonges qu'ils répandent à travers le globe soient contrés par une narrative historiquement correcte, et qui présente la question d'une manière juste et correcte. Vous n'y parviendrez pas en vous engageant dans des discussions désordonnées avec eux, mais en expliquant le récit palestinien à des publics qui souhaitent entendre la version palestinienne des choses.

Il y a des exceptions à la règle. Quand vous êtes devant un public large, il peut être utile d'exposer le sioniste devant eux en dirigeant le débat vers les questions fondamentales de l'injustice de l'invasion et du nettoyage ethnique, les deux mécanismes qui ont permis la création de l'Etat. Et vous devez éviter à tout prix de permettre que la discussion ne s'écarte de ces questions. Si vous y arrivez, vous aurez désamorcé avec succès la stratégie du dialogue futile - mais ne perdez pas votre temps là-dessus à moins que vous ayez une audience assez importante (comme la télévision ou la radio nationales) à qui cela peut ouvrir les yeux. Il est peu judicieux de considérer que Twitter, Facebook et autres réseaux sociaux peuvent tomber dans cette catégorie parce que le débat ne sera suivi, par définition, que par un groupe choisi de personnes déjà convaincues.

Les sionistes "progressistes" et "de gauche"

De même, il ne faut absolument pas laisser les "sionistes progressistes" (des gens qui défendent l'Etat d'"Israël" et veulent lui donner un visage plus moral en propageant qu'ils veulent donner aux Palestiniens quelques-uns de leurs droits) mener ce débat. Le récit palestinien peut être parfaitement bien dit par les Palestiniens eux-mêmes, ainsi que par ceux, dans la communauté internationale, qui ont étudié à fond leurs principes et sont à même de les transmettre correctement. Permettre aux "sionistes progressistes" ou aux "sionistes de gauche" de se présenter comme les porte-paroles des droits palestiniens fait le jeu de l'objectif sioniste d'intellectualisation de la question.

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Il a dû être douloureux pour les fans de Norman Finkelstein de voir soudain leur héros, selon ses propres termes, "tourner sa veste, et passer d'un critique d'Israël à un diplomate qui veut résoudre le conflit" (1), et dans un entretien récent qu'on peut écouter sur Youtube, prendre fermement position contre le mouvement BDS.

Ainsi est la nature de ces "champions des droits palestiniens", dont la motivation, dans une large mesure, est de protéger l'Etat sioniste : à un moment donné, si besoin est, ils finissent toujours par intervenir en défense de l'Etat colonisateur illégal contre ceux qui cherchent à démanteler son essence raciste.

Ne jamais parler à un sioniste ; toujours parler du sioniste aux autres.

Résumé de la contre-stratégie pour désamorcer le dialogue futile :

- Eviter le dialogue, le débat ou la discussion avec des représentants du sionisme,
- Faites un exception dans des situations où vous avez une chance d'exposer le sionisme devant un public relativement large,
- Si vous débattez sur une télévision ou une radio nationale, restez centrés sur les questions de fond,
- Limitez l'organisation de débats avec les soi-disant "sionistes progressistes",
- Concentrez la stratégie de votre groupe militant à donner la parole aux Palestiniens.

La lutte pour les droits palestiniens a toujours opéré sous une pression intense, et l'un des moyens les plus simples d'atténuer un peu de cette pression est de s'écarter des discussions dans lesquelles le sionisme veut nous entraîner. Nous n'avons aucun besoin de ce genre de débats : c'est nous qui devons dépenser notre énergie à la libération de la Palestine des chaînes du racisme sioniste, quand tous les autres semblent occupés à se centrer sur des questions subalternes. C'est nous qui devons impliquer la communauté mondiale et la sensibiliser à la monstrueuse injustice de décennies de Nakba continuelle. L'histoire, le droit international et le sens de la justice soutiennent notre cause. Nous n'avons rien à craindre lorsque nous racontons notre histoire, et nous devons continuer à la raconter partout où nous le pouvons.



(1) "Norman Finkelstein bids farewell to Israël bashing", Norman Finkelstein official website, reprenant l'article du Ha'aretz, 05.04.2012





Source : Doc Jazz's Musical Intifada

Traduction : MR pour ISM

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