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Gaza - 11 novembre 2006
Par Rory McCarthy
C'était peu après l'aube et seule une poignée de bateaux de pêche de la ville de Gaza étaient toujours en mer. Certains étaient rentrés plus tôt pour débarquer la pêche de sardines de la nuit, mais la majorité n'avait même pas pu sortir du tout.
Presque tous les bateaux en bois de la petite flotte, leur peinture altérée, sont ancrés dans le port, comme ils l'ont été pendant la majeure partie de cette année.
Abu Naim attend que ses cinq fils rentrent avec son bateau. Si la pêche avait été bonne ces derniers jours, ils auraient peut-être la chance de ramener des sardines pour une valeur de 200 Shekels (36 Euros).
En tenant compte du coût du carburant, il resterait 100 shekels (18 Euros) pour Abu Naim, ses 7 marins et un ouvrier qui attend avec lui sur le quai. Les pêcheurs ont mis de la lumière et ils se réchauffent les mains au-dessus d'un gril à charbon de bois tandis que l'un va chercher d'autres verres de thé.
"Nous rions en apparence mais au fond de nous, nous sommes profondément tristes." Dit Abu Naim, 53 ans.
"Nous sommes morts."
L'étroite Bande de Gaza est déjà la bande de terre la plus peuplée au monde où habitent 1.4 million de Palestiniens dont près des deux-tiers vivent sous le seuil de pauvreté. Le territoire s'enfonce maintenant dans une crise économique.
Depuis que le mouvement du Hamas a été élu au pouvoir cette année, Israël a refusé de verser les recettes fiscales dues aux Palestiniens s'élevant à 60 millions de dollars par mois, et l'Occident a stoppé son aide financière directe au gouvernement.
Depuis mars, 160.000 employés du gouvernement, des médecins et professeurs jusqu'au personnel de sécurité, se retrouvent sans salaires.
Les fermetures régulières des Israéliens et les retards aux points de passage pour sortir de Gaza ont fait mal à l'économie déjà fragile.
350 morts
Après la capture d'un soldat israélien près de Gaza en juin dernier par des militants, les opérations militaires israéliennes ont tué plus de 350 Palestiniens dans Gaza, dont bon nombre étaient des civils. Les attaques ont abouti à un tir d'artillerie mercredi sur des maisons à Beit Hanoun, tuant 18 membres d'une même famille.
Quand le deuxième Intifada palestinien a commencé il y a six ans, l'armée israélienne a imposé des limites aux zones de pêche, accusant certains pêcheurs de faire de la contrebande d'armes. D'abord, ils ont été confinés à moins de 20 kms des cêtes. Petit à petit, cette zone a été réduite.
Pendant trois mois cette année, ils ont été limités au port et à la plage - un coup terrible porté à une économie où la pêche avait encore une place importante.
Tout récemment, ils ont été autorisés à nouveau à sortir jusqu'à 5 km des cêtes, disent les pêcheurs. Les poissons sont petits et les prises sont faibles.
Ceux qui s'aventurent trop loin risquent de tomber sur les patrouilles navales israéliennes. Hani al-Najar, 27 ans, un pêcheur père de trois enfants en bas âge, a été tué le mois dernier quand la marine israélienne a tiré sur son bateau.
"Mon fils n'était pas un combattant. Il n'y avait pas d'armes sur son bateau. C'était juste un pêcheur d'une famille de pêcheurs." dit son père, Ibrahim al-Najar, 48 ans.
Hier, le mur extérieur de sa maison était encore recouvert de graffitis de l'enterrement de son fils. "Bienvenue aux visiteurs au mariage du sang et du martyr." peut-on lire. "Au revoir Hani."
À l'intérieur de la pièce du devant de la maison sont accrochés plusieurs photos identiques de son fils, jeune et vêtu avec élégance d'une chemise blanche et d'une cravate, les cheveux bien coupés.
Jours d'espoir
Après de nombreuses années passées en exil en Egypte, M. Najar était revenu vivre à Gaza en 1995 avec son épouse et ses six enfants, suite aux Accords d'Oslo quand de nombreux Palestiniens espéraient la paix et un Etat.
"Nous pêchions, il y avait de l'argent." dit-il. Puis quand l'Intifada a commencé, l'économie s'est effondrée.
"Nous sommes dans une situation misérable." ajoute M. Najar. "Quand je suis arrivé d'Egypte, je pensais que la solution était la paix. Je crois toujours cela. Nous voulons que nos enfants vivent comme les autres."
Plus au sud, près de la ville de Khan Yunis, Isa Laham, 43 ans, essayait de réparer les grandes serres en plastique qui abritent sa récolte de tomates.
Il a emprunté l'année dernière 7.000 Shekels (1.270 Euros) pour planter des tomates-cerises.
Mais avec la fermeture fréquente des passages, il n'a pas pu exporter sa récolte vers Israël. Elle a pourri sur les branches. Il a dû payer des ouvriers pour arracher les plants.
Cette année, il a emprunté plus de 14.000 Shekels (2.500 Euros) pour planter une autre récolte de tomates, en espérant au moins pouvoir la vendre sur le marché local afin de récupérer une partie de l'argent qu'il doit. "Je prends un risque, mais si je ne plante rien je n'ai aucune chance de gagner de l'argent.".
L'été dernier, Israël a retiré ses colons de Gaza et de nombreux Palestiniens avaient espéré un nouveau début. Mais Israël a gardé le contrêle de la mer, de l'espace aérien et des passages et c'est la fermeture des passages qui a frappé l'économie encore plus durement cette année.
"Nous pensions que ce serait comme Singapour" raconte M. Laham. "Mais maintenant il n'y a aucune comparaison. Nous avons l'impression d'être des Africains avec notre pauvreté." Il doit encore payer ses quatre ouvriers de ferme pour l'année dernière. Il a huit enfants à l'école et deux à l'Université Islamique privée."
A quelques minutes en voiture du port se trouve l'un des plus grands magasins en électronique de la ville. Tareq al-Saqqa, 35 ans, a abandonné ses études de droit parce que sa famille ne pouvait pas se permettre de payer les frais d'admission.
Maintenant il importe des télévisions, des réfrigérateurs et des cuisinières.
"Il y a dix ans, nous pensions qu'un changement était arrivé et nous avons tous tenté de nous agrandir. Puis, nous avons compris que ce n'était pas ce à quoi nous nous attendions."
M. Saqqa n'a pu faire entrer dans Gaza que trois fois cette année des marchandises en provenance du port israélien d'Ashdod.
Il y a deux mois, il a commandé des appareils de chauffage de Turquie, assez pour remplir un containeur afin de répondre aux demandes de l'hiver. Il est arrivé à Ashdod il y a quelques jours, mais en raison des retards au principal passage de marchandises de Karni, il s'attend à ce que le container n'arrive à son magasin que dans un mois et il pourrait rater la majeure partie de l'hiver.
Il y a six ans, avant l'Intifada, il payait 1.500 shekels (272 Euros) pour faire venir un container d'Ashdod. Aujourd'hui, cela coûte 15.000 shekels (2.700 Euros).
La fermeture des passages est au coeur de la dernière crise. "La libre circulation est la condition sine qua non pour une croissance économique", a averti un rapport récent de la Banque Mondiale. Israël n'a pas respecté son accord sur les passages négocié il y a un an par le Secrétaire d'Etat américain, Condoleezza Rice.
Le passage de Karni a été fermé 86 jours sur les 300 jours prévus d'ouverture, tandis que le passage de Rafah sur la frontière égyptienne a été fermé 120 jours sur 350, selon les derniers chiffres de l'ONU. Israël cite des problèmes de sécurité pour les fermetures.
"Pour l'instant, nous pouvons tenir" dit M. Saqqa, "mais si la situation continue comme ça, avec les rivalités internes entre les factions, les fermetures, les massacres, je vais commencer à penser à sauver ma vie et la vie de ma famille en émigrant."
Saqqa est un modéré qui voudrait voir le Hamas former une coalition avec son rival, le Fatah, dans l'espoir de récupérer les recettes fiscales qu'Israël retient toujours.
Hier Ismail Haniyeh, le premier ministre du Hamas, a suggéré qu'il était prêt à démissionner si cela signifiait la levée du boycott, bien que les négociations bloquent continuellement. Mais pour tous ceux à Gaza qui parlent de modération, il y en a beaucoup plus qui parlent seulement de défi et de résistance.
Au 10ème étage d'une tour à Gaza City, Ala'a Mortaja, 23 ans, un présentateur de Radio Alwan, une petite station indépendante, demandait aux auditeurs d'appeler ou d'envoyer des commentaires sur Beit Hanoun.
Il a lu les textes des messages.
"Palestine, tu es notre patrie. Nous sommes nés ici et nous avons grandi ici et nous ne t'oublierons jamais" dit l'un.
"Par notre sang, nous jurons que nous serons des martyrs pour toi." peut-on lire sur un autre.
"Nous nous vengerons. Nous sommes prêts à mourir pour la liberté. Nous voulons tous être des martyrs."
Un auditeur a appelé en donnant son nom, Abu Jihad, et il a récité en direct les incantations souvent répétées par les militants : "Ces martyrs sont morts pour nous maintenir en vie. Leurs décès nous autorisent à croire dans la résistance, dans le Jihad, dans la contrebande. Je suis prêt à devenir un kamikaze."
"Qu'est-ce qui vous a poussé Ã prendre cette décision, Abu Jihad ?" a demandé le présentateur.
"Parce que les Palestiniens sont vaincus par l'injustice et l'occupation." a-t'il hurlé dans le téléphone. Puis son téléphone portable est devenu hors de portée.
La station de radio a alors diffusé de la pop-musique Arabe et un peu plus tard, d'autres informations au sujet des décès de Beit Hanoun.
Source : The Guardian
Traduction : MG pour ISM
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