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Palestine - 25 mai 2005
Par Walid Duqqa
Je vous raconterai l'histoire de Alaa Dine, que j'ai considéré voyant, et j'ai découvert que j'étais moi-même aveugle
Alaa Dine Ahmad Baziane, n'est pas seulement un nom pour un conte historique, il est en réalité un homme en chair et en os, une partie du coeur de cette histoire saignante, il est même plus, il fait partie de ceux dont les corps ont tracé la voie, en donnant et en luttant.
Alaa Dine, une épopée et non une poème.
Alaa Dine (Aladin) n'est pas le nom d'un héros d'une légende mythique, mais le nom d'un héros qui vit parmi nous, dans la prison de Ramleh, à cette époque où il n'y a plus de légendes, de mythes et de fables, où les gens ne croient plus qu'aux faits vivants et palpables. Alaa a été enterré vivant et palpable dans les souterrains des prisons, depuis plus d'un quart de siècle.
Alaa Dine n'est pas le nom d'une lanterne à miracles, mais c'est le nom d'une homme qui a vu, par son intelligence vive et son expérience humaine et combative rare, la voie de la liberté... avec beaucoup de réalisme politique et combatif, loin de tout nihilisme, de toute logique divinatoire et des stratégies de la sorcellerie.
J'ai eu l'honneur qu'il me tienne par la main, moi le prisonnier à l'expérience récente, et voyant, pour qu'il me conduise, lui l'aveugle, et me faire éviter les obstacles dans les ténèbres des cellules.
Alaa Dine fut, en ce sens, une lanterne blessant les ténèbres de la période.
Lorsque nous chantons "nos yeux pour la patrie", pour Alaa, ce n'est ni un hymne, ni une rhétorique, ni une métaphore linguistique. Lorsque sa ville, al-Quds, lui a demandé de lui donner toute sa lumière, Abu Kamal lui a remis toute la lumière par laquelle il voit.
Alaa refuse d'être une légende ou une icône qu'on pend aux murs de ceux qui ont transformé la souffrance en exposition, et la patrie en patrimoine.
Il a toujours insisté pour rester ce militant humain avec tout la signification qu'impliquent ces mots, avec la profondeur révolutionnaire, la simplicité et l'humilité en même temps, pour que la patrie ne se transforme pas en pseudo-patrie, la lutte en pseudo-lutte, les militants en pseudo-militants, la liberté et l'indépendance en pseudo-liberté et pseudo-indépendance, le prisonnier devenant une question devançant une autre question.
Alaa Dine, qui a été arrêté jeune homme de 21 ans, a passé en prison plus de temps qu'à l'extérieur, et il y est toujours.. Alaa qui a perdu sa vue depuis ce moment refuse de s'appuyer sur son incapacité organique pour justifier une quelconque incapacité ou déficience, qui pourrait être une justification pour lui, dans sa situation, mais il ne supporte pas l'incapacité... Notre incapacité... leur incapacité.
Il refuse que l'état humain soit l'objet de pitié. Il insiste pour rester l'humain et le militant qui participe au mouvement des prisonniers, à toutes ses discussions politiques et théoriques, aux batailles de la grève de la faim illimitée et aux journées de solidarité et ce qui s'ensuit... Alaa Dine appartient à cette poignée qui souffle sur la braise de nos valeurs humaines et militantes afin que nous conservions notre perspicacité..
Alaa montre aux jeunes nouveaux venus, par son comportement, comment doit être un militant, comment il doit s'intéresser à l'étude de l'histoire, de la littérature et de la philosophie, sans négliger l'heure quotidienne de gymnastique.. Alaa va rejoindre bientôt l'université ouverte.
Hier, je lui tenais la main, comme à notre habitude, lors de notre promenade dans la cour de la prison. J'ai heurté le poteau qui porte le panier.
J'ai ri, tous ont ri, se demandant : qui conduit qui ?
Tu nous as convaincus, mon ami, tu es le plus fort. Nous avons oublié ton handicap. Je ne t'ai jamais entendu te plaindre ou maudire cette obscurité.. Je t'ai toujours connu discutant et analysant la situation, rassemblant ton entourage.
Tu as toujours été pareil, que ce soit dans les petites ou les grandes questions..
Tu étais toujours le gagnant au domino.
Même le gêolier, Abu Kamal, même le gêolier, n'a pas été convaincu de ta cécité..
Te rappelles-tu le jour où tu as été convoqué à l'infirmerie, ils voulaient t'ausculter de nouveau, pour s'assurer de ta cécité.. Ils t'ont dit que l'un des gêoliers t'a vu debout devant le lavabo en train de te raser, ils ont cru que tu utilisais le miroir...
Tu es comme tu es, et ta fierté, mon ami, est une question pour toi et pour nous.
Comment se comporte Alaa lors des affrontements violents entre nous et les geôliers ?
Comment Alaa évite-t-il le gaz lacrymogène et les matraques qui tombent sur lui sans qu'il ne puisse prévoir dans quelle direction elles vont agir ?
L'obscurité éternelle n'intercède-t-elle pas en sa faveur ?
Nous avons oublié, mon ami, de te demander comment tu rassembles tes vêtements et tes affaires personnelles après chaque fouille violente qui laisse derrière elle un tas au centre de la cellule ?
Nous avons oublié de te demander comment tu accomplis les gestes les plus simples comme le fait de nouer les lacets, de marcher du lit vers les toilettes, lorsque la géographie des lieux change après chaque transfert d'une prison à l'autre ? Alaa Dine est transféré, menotté et les pieds attachés, comme tous les prisonniers, afin qu'il ne puisse pas s'enfuir...
Alaa Dine est l'homme des détails, il tient à apparaître de la meilleure manière devant ses visiteurs. Il n'a pas vu les cheveux blancs de sa mère ni les joues creuses de son père, ni le visage d'Asma, la fille de son frère qui a été tué. Pourtant, il voit l'espoir dans ses yeux, il entend dans sa voix la tristesse de sa ville, et dans ses paroles, les questions, toujours la question..
Combien d'hommes libres sont-ils enchaînés par les menottes de la cécité ?
De combien de voyants avons-nous besoin pour voir une part de ce que tu vois ?
Alaa Dine a été écarté des opérations de libération tout au long de ces années, depuis Oslo, il n'a pas suscité l'intérêt des "voyants" qui ont négocié. Alaa Dine ne verra pas la lumière au bout du tunnel tant que vous poursuivrez ce genre de négociations. Alaa qui vous a écrit, ne lira pas ces mots, mais vous, le lirez-vous ?
Il s'agit de Alaa Dine Ahmad BAZIANE de la ville d'al-Quds, vieille ville.
Il a été arrêté pour la première fois en 1979, il avait perdu la vue lors d'une opération militaire. Il a passé 6 ans en prison. Il a de nouveau été arrêté 11 mois plus tard, le 20 avril 1986. Il a été condamné à la prison à vie, accusé d'avoir dirigé une unité militaire.
Source : www.arabs48.com
Traduction : Centre d'Information sur la Résistance en Palestine
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