Liban - 25 juillet 2006

La tournée imaginaire de Condi Rice au Moyen-Orient

Par Rami G. Khouri

Rami G. Khouri est rédacteur du journal à grand tirage basé à Beyrouth, le Daily Star, publié dans l'ensemble du Moyen-Orient avec l'International Herald Tribune.

Les responsables américains sont très bons pour les descriptions vernaculaires, mais mauvais au sujet de l'histoire et de la réalité politique au Moyen-Orient.
Alors que le Secrétaire d'Etat Américain, Condoleezza Rice, partait dimanche pour son court voyage au Moyen-Orient qui s'enfonce de plus en plus dans des confrontations violentes et dans le trouble politique, elle a décrit la destruction massive, la désintégration et la souffrance humaine au Liban comme faisant inévitablement partie des "douleurs de l'accouchement d'un nouveau Moyen-Orient".

Pour moi ici à Beyrouth, qui regarde les avions de combat israéliens fournis par les Etats-Unis réduire ce pays en miettes, ce qu'elle décrit comme des " douleurs de l'accouchement" ressemble bien plus à une mauvaise gueule de bois due à une orgie d'intoxication diplomatique américaine vieille d'une décennie avec les attraits de la politique pro-Israélienne.

Nous verrons dans les prochaines années si, en effet, un nouveau Moyen-Orient est né, ou si – comme je le suppose –nous sommes témoins des premiers spasmes de l'agonie de l'ordre politique Occidental qui a défini cette région et s'est concentré principalement sur des préceptes nationaux israéliens au cours de la majeure partie de la moitié du siècle dernier.

Pour se diriger vers un Moyen-Orient véritablement nouveau et stable, il faudrait appliquer une politique qui fournisse l'égalité des droits à tous les intéressés et qui ne favorise pas Israël comme ayant plus grands de droits que les Arabes.

Rice a déclaré qu'Israël devrait ignorer les appels à un cessez-le-feu, en disant : "C'est un Moyen-Orient différent. C'est un nouveau Moyen-Orient. C'est dur. Nous allons traverser une période très violente."

Derrière la position américaine qui soutient les attaques massives d'Israël contre l'infrastructure du Liban et les positions civiles du Hizbullah – ce qui a été largement rapporté de Washington ces derniers jours – on peut pressentir que l'équipe Bush-Rice veut utiliser ce conflit pour atteindre des objectifs tactiques à court terme et des objectifs stratégiques à long terme qui servent les intérêts de l'Amérique, d'Israël et de quelques uns de leurs alliés dans la région.

À court terme, les Etats-Unis voudraient qu'Israël élimine le Hizbullah, permette au gouvernement libanais d'envoyer ses troupes dans le Sud du pays, garantisse la sécurité du Nord d'Israël, restreigne énormément l'influence de la Syrie, et applique une plus grande pression sur l'Iran, partisan du Hizbullah.

Les Etats-Unis s'opposent donc à un cessez-le-feu, parce que, dit Rice :"Un cessez-le-feu serait une fausse promesse s'il ne fait que nous ramener au statu quo."

Cette position diplomatique de soutien aux attaques israéliennes contre le Liban, couplée à l'envoi d'urgence de bombes de précision sophistiquées de l'arsenal américain vers Israël, indique que Washington ambitionne sérieusement de remodeler fondamentalement la carte politique et idéologique du Moyen-Orient à plus long terme.
Si cela signifie encore qu'une autre terre Arabe soit en flammes et en guerre, alors qu'il en soit ainsi, semble dire Washington.


Nous avons donc maintenant trois pays Arabes où la politique et les armes américaines ont joué un rôle important dans la promotion du chaos, de la désintégration, de la mort massive et de la souffrance : L'Irak, la Palestine et le Liban. Vous pouvez les regarder brûler – en direct sur vos téléviseurs.

Ironiquement, c'étaient les trois pays que Bush-Rice et Cie. avaient soutenu comme modèles et pionniers de la politique américaine pour favoriser la liberté et la démocratie comme antidotes au despotisme et au terrorisme Arabes.

Le désir de Washington de changer le visage du monde Arabe nécéssite de supprimer les derniers vestiges du défi anti-américain et de la résistance anti-israélienne.

Le problème pour Bush-Rice, c'est que de tels sentiments devraient être vraisemblablement partagés par une majorité des Arabes.
La plupart d'entre eux rejoignent les partis Islamistes et les groupes de résistance comme le Hamas, le Hizbullah, les Frères Musulmans et les divers groupes Shiites du gouvernement irakien.


La Syrie et l'Iran sont, à cet égard, les gouvernements les plus problématiques pour Washington.
Donc, il y a davantage d'ironie et beaucoup d'incohérence dans le dernier désir officiel Américain pour que les gouvernements Arabes fassent pression sur la Syrie pour qu'elle diminue son soutien au Hizbullah et aux autres groupes qui défient les Etats-Unis et Israël.

Le fait bloquant que Bush-Rice n'arrivent pas à voir – ce qui est peut-être compréhensible, étant donné la tendance de l'alcoolique à fuir la réalité – c'est que Washington ne peut plus parler maintenant qu'à quelques gouvernements Arabes (l'Arabie Saoudite, l'Egypte et d'autres) qui ne sont capables d'affecter personne d'autre que leurs familles proches et beaucoup de gardes.

Washington n'est engagé presque exclusivement qu'avec des gouvernements Arabes dont l'influence sur la Syrie est pratiquement inexistante, dont la crédibilité dans l'opinion publique Arabe est nulle, dont la propre légitimité est de plus en plus défiée dans leur pays, et dont les politiques pro-américaines ont tendance à favoriser la croissance de ces mouvements de militants Islamistes qui dirigent maintenant la lutte contre les politiques américaines et israéliennes.

Est-ce que Rice voyage dans un nouveau Moyen-Orient, ou dans un Disneyland diplomatique de sa propre imagination ?


Si Rice poursuit des contacts dans les cinq prochains jours qui augmentent le parti-pris de Washington envers Israël, reserrent ses liens avec des gouvernements Arabes isolés et de plus en plus impuissants, et s'aliènent encore plus les masses de l'opinion publique Arabe, elle aggravera le véritable problème qu'elle prétend vouloir régler : la propagation de la violence et de la terreur, pratiquées simultanément par les armées des Etats comme les Etats-Unis, Israël, et les Etats policiers du Moyen-Orient qui vivent par la violence en règle générale, et par des acteurs non-étatiques comme le Hizbullah et d'autres comme lui.

Lors de son long vol entre Washington et Palestine-Israël dans la nuit de dimanche, quelqu'un aurait dû donner à Condoleezza Rice un livre d'histoire moderne sur le Moyen-Orient, de sorte qu'elle puisse traverser la brume de sa longue stupeur politique avinée, et finalement voir plus clairement d'où émanent les problèmes de cette région, d'où viennent les solutions, et comment son pays pourrait devenir une force constructive plutôt que destructive.

Source : http://www.truthout.org/

Traduction : MG pour ISM