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Moyen Orient - 13 juin 2008
Par George Bisharat
George Bisharat est professeur à la Faculté de Droit de Hastings, à San Francisco, et il écrit régulièrement sur le droit et la politique au Moyen Orient. Première parution de cet article sur The Los Angeles Times et publication sur Electronic Intifada avec la permission de l'auteur.
Une nouvelle expression bruisse dans les réseaux de groupes de réflexion et des services de recherche orientés sur la sécurité israéliens décidés à provoquer une attaque US sur l'Iran : le "suicide national". Le terme décrit une supposée tradition arabe musulmane de suicide politique à un niveau national, et non seulement individuel. Les régimes arabes musulmans ont prétendument lancé des guerres ruineuses qu'ils ne pouvaient raisonnablement pas espérer gagner, condamnant leurs nations à la destruction.
La notion d'un régime iranien "irrationnel" et donc peu fiable a déjà été largement discutée aux Etats-Unis. Elle est régulièrement invoquée par le Sénateur John McCain en tournée électorale. Le terme de "suicide national" promeut la notion et lui donne une patine de respectabilité.
Amnon Rubinstein, juriste israélien et ancien membre de la Knesset, a récemment publié un éditorial sur le "suicide national" dans The Jerusalem Post. Citant le Lieutenant Colonel de l'armée israélienne Ari Bar Yossef, Rubinstein a pris Saddam Hussein, Yasser Arafat et les Taliban en Afghanistan comme exemples de ce nouveau concept.
Hussein aurait pu éviter la chute en laissant aux inspecteurs des Nations Unies la bride sur le cou pour fouiller son pays. Arafat, après l'échec des pourparlers de paix de Camp David, aurait dû continuer à négocier mais a eu recours à la violence. Enfin les Taliban auraient dû abandonner Osama Bin Laden aux Etats-Unis, mais au lieu de cela, ils ont choisi l'autodestruction. Tout ça parce que, selon Rubinstein, ces dirigeants préfèrent mourir plutôt que de "négocier avec des infidèles."
Le "suicide national" sera bientôt une incantation des néocons, des experts et des politiciens pro-israéliens qui accompagnera le mantra "Bombarder l'Iran". Les implications stratégiques sont claires : nous ne pouvons pas nous fier à des régimes irrationnels parce que la menace d'anéantissement ne les dissuade pas. C'est pourquoi des actions extraordinaires – comme une attaque préemptive – ne seront pas seulement justifiées, elles seront nécessaires. Et de plus, cela déplace la responsabilité morale sur la victime. Dans la formulation de "suicide national", c'est le martyr qui choisit la mort, alors que les vrais tueurs ne sont qu'un simple instrument par lequel le suicide – ou, comme cela peut être le cas, la destruction d'un pays – est réalisé.
Pourtant, l'idée d'une tendance arabo-musulmane à l'auto-destruction est insensée et dangereuse.
Il est plus facile de croire en un "suicide national" si vous considérez que tous les Arabes et tous les Musulmans ont une seule manière de voir les choses. Par exemple, le mouvement national palestinien sous Arafat était fermement laïc ; les membres des Taliban non arabes sont des extrémistes islamistes. Le concept élude la grande diversité au sein des mondes arabes et musulmans et ignore les spécificités locales de leurs mouvements politiques variés – et quelquefois opposés d'un point de vue idéologique. On a vu un indice de ces tensions intra-régionales dans la récente vidéo de Bin Laden dénonçant le dirigeant Hezbollah Sheik Hassan Nasrallah.
Alors, quid des supposés exemples de "suicide national" ? En fait, Hussein a autorisé aux inspecteurs des Nations Unies un accès relativement sans entrave à son pays – tardivement, c'est sûr, et sous la pression de la communauté internationale. Mais à ce moment là, la poussée des néocons pour la guerre avait déjà atteint le point de non retour – les faits l'ont prouvé.
Arafat, pour sa part, a continué de négocier après Camp David à Taba et n'a jamais choisi d'allumer le second Intifada. Le soulèvement fut déclenché par la visite provocatrice d'Ariel Sharon à la mosquée Aqsa et fut alimenté par le sentiment des Palestiniens que le processus de paix les avait trahis, qu'il n'avait apporté aucune paix, mais avait doublé le nombre de colons israéliens sur leur terre. Le canard "Arafat a choisi la violence" a été rejeté par le rapport Mitchell. Ami Ayalon, ancien chef des services secrets israéliens Shin Bet, a conclu : "Yasser Arafat n'a ni préparé ni déclenché l'Intifada."
Enfin, si les membres des Taliban se suicident, ce sont des cadavres exceptionnellement vigoureux. Toujours pendus haut et court, ils continuent de résister aux USA sur le champ de bataille.
Le Président iranien Mahmoud Ahmadinejad est un gars commode à fustiger. Il a fréquemment prédit la disparition finale d'Israël et pourtant – traduit exactement – il ne l'a pas menacé d'une attaque offensive. Pas plus qu'il commande les forces armées du pays.
Israël, avec une estimation de 100 à 200 têtes nucléaires, n'a à craindre aucune menace existentielle venant de l'Iran. Mais l'Iran est une source d'inspiration et de soutien matériel pour le Hezbollah et le Hamas, deux forces qui harcèlent Israël et empêchent son hégémonie régionale. Les risques locaux d'Israël sont insuffisants pour justifier une attaque US sur l'Iran – d'où le besoin de faire mousser le "suicide national" et le spectre d'un Armageddon nucléaire.
L'Iran est une nation de 70 millions d'habitants, dont beaucoup sont mécontents des performances de leur gouvernement. Rien ne les unira et ne les ralliera mieux autour de leur régime actuel qu'une attaque étrangère.
Nous avons chèrement besoin de sobriété et de conduite responsable dans nos relations avec l'Iran et avec le Moyen Orient plus large. Nous n'avons pas besoin d'une autre aventure hasardeuse poussée par des termes fantaisistes et des manipulations aux sous-entendus politiques.
Source : Electronic Intifada
Traduction : MR pour ISM
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George Bisharat
13 juin 2008