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Palestine - 8 juillet 2005
Par Samah Jabr
in Palestine Times
Même si les autorités palestiniennes sont liées par des relations commerciales normalisées avec Israël, conformément aux accords d’Oslo, il reste "politiquement correct" de boycotter les produits des colonies.
Il y a des communautés villageoises palestiniennes, dont les citoyens, tel ceux du village d’Aseira al-Shemaliyyah, dans les faubourgs de Naplouse, ont réussi à boycotter Israël en déclarant ce village "Israeli product-free" [exempt de tout produit israélien], aussi longtemps que durera l’Intifada.
Créé au moyen de massacres massifs et de l’expulsion des Palestiniens, suivie de la destruction de leurs villages, l’Etat d’Israël fait l’objet, depuis sa création, d’un rejet dans la région, en tant que colonie juive exclusiviste.
Une des mesures prises par la Ligue des Etats arabes, afin de s’opposer à l’existence d’Israël, fut la création à Damas, en 1951, du Bureau de la Ligue pour le Boycott d’Israël, dont la mission était de soutenir la lutte de résistance du peuple palestinien contre l’occupation et les actes systématiques de terrorisme perpétrés par les autorités israéliennes à l’encontre des Palestiniens ; ce bureau a pour mission de dénoncer, deux fois par an, les compagnies israéliennes et internationales qui soutiennent l’occupation par Israël des territoires palestiniens, afin qu’un boycott leur soit imposé.
D’autres pays non-arabes de l’Organisation de la Conférence islamique se sont également associés à la politique de boycottage d’Israël planifiée par ce Bureau.
Les activités du Bureau du Boycott furent gelées après la signature par les Palestiniens et Israël de leurs accords d’Oslo, en 1993, mais les appels à leur reprise se multiplient actuellement.
Récemment, en raison du développement des relations diplomatiques entre Israël et les gouvernements de certains pays arabes, on a assisté à un boycott et à des mouvements anti-normalisation populaires, organisés par des syndicats professionnels et étudiants, en particulier en Egypte et en Jordanie.
Tandis que Washington, qui donne quotidiennement 15 138 178 dollars au gouvernement et à l’armée israéliens, et seulement 232 290 dollars aux services sanitaires et aux ONG palestiniens, considère qu’un tel boycott d’Israël est 'une arme dirigée contre la paix', le Bureau du Boycott considère qu’il s’agit d’une forme de résistance pacifique, en harmonie avec la légitimité internationale, dès lors que ce boycott est fondé sur les principes de l’autodéfense et de la liberté de choisir ses partenaires commerciaux.
L’agenda de l’administration américaine en matière de réforme et de démocratisation du Moyen-Orient comporte des projets très clairs visant à promouvoir et même à imposer la normalisation du monde arabe avec Israël.
Certains régimes arabes profitent de l’aubaine d’apporter des gages de leur loyauté vis-à-vis de l’administration américaine afin de pouvoir pérenniser les pratiques dictatoriales dans leurs pays respectifs.
Les programmes de normalisation sont actuellement en cours de mise en pratique dans certains pays arabes sans aucun sondage, ni referendum préalables, qui auraient permis de vérifier l’état de l’opinion populaire en la matière. De mon point de vue, il s’agit là d’une violation brutale de la morale et de la mémoire arabes.
Depuis cinq ans, Israël a augmenté sa violence et son oppression à l’encontre des Palestiniens, ce qui a suscité de nouveaux appels à son boycott.
L’édification de la monstrueuse muraille de séparation et la ghettoïsation des Palestiniens confinés dans de petites enclaves disjointes ont fait prendre un peu plus conscience de la légitimité des plaintes palestiniennes par des sociétés civiles occidentales éloignées de nos réalités, mais familières de l’histoire des ghettos et de l’apartheid.
Récemment, il y a eu quelques réponses internationales partielles aux appels lancés par les Palestiniens à la société civile afin qu’elle intervienne, notamment sous la forme de désinvestissements, du boycott des produits israéliens en Afrique du Sud et en Irlande, et dernièrement l’appel au boycott des universités israéliennes, lancé par l’Association des Professeurs d’Université britanniques le 22 avril dernier, et (malheureusement) retiré le 25 mai.
C’est après avoir rejeté un boycott généralisé d’Israël, que l’AUT [association des universitaires britanniques] a accepté un appel lancé par la Campagne palestinienne pour le boycott académique et culturel d’Israël [PACBI – Palestinian Campaign for the Academic and Cultural Boycott of Israël], lequel appel était sélectif et visait les universités israéliennes d’Haïfa et Bar Ilan, en raison de leur complicité directe dans l’occupation :
• la première par son implication dans le négationnisme de la Nakba (l’expulsion massive et le massacre des Palestiniens, en 1948), déni illustré par le traitement imposé à un maître de conférence israélien pour avoir soutenu les recherches d’un étudiant comportant des allégations de massacres perpétrés par l’armée israélienne ;
• et la seconde en lien avec la construction d’un collège universitaire dans la colonie d’Ariel, qui s’étend illégalement au détriment du territoire palestinien, au moyen de confiscations de terres et de destruction au bulldozer d’oliveraies (dont celles appartenant à ma famille, dans le village palestinien de Kifel Hares).
L’option d’un boycott universitaire et culturel est particulière.
Ce boycott vise les élites et les intellectuels d’Israël, parmi les moins désavantagés dans la population israélienne, et dont les institutions sont des piliers de l’éducation à la mentalité d’occupants, au racisme envers les Palestiniens et les Arabes, des gens qui dénient la Nakba, élément clé du conflit et qui appartiennent eux-mêmes à la population dont diverses activités nourrissent l’occupation et ne sont pas insoupçonnables de prendre une part active dans l’occupation, y inclus les services militaires des réservistes.
Le boycott de l’association des universitaires britanniques n’avait pas un caractère obligatoire, au niveau des personnes individuelles.
Le boycott de l’Université de Haïfa était censé se prolonger jusqu’à ce que cette université ait mis un terme aux vexations à l’égard de son corps enseignant et de ses étudiants désireux de mener des recherches débattre au sujet de l’histoire de la création de l’Etat d’Israël.
Il entendait soutenir aussi bien les juifs israéliens qui ont le courage de s’élever contre l’occupation que les Palestiniens. Il défendait les libertés académiques au moins autant qu’il condamnait l’occupation.
Le boycott est important et moralement justifié car il éduque des gens qui ne connaissent rien d’Israël, de son caractère exclusiviste, de ses projets exploiteurs, de ses violations du droit international et de ses crimes brutaux contre l’humanité, tout en les incitant à agir pacifiquement et tout à fait légitimement afin de mettre un terme à cette situation.
Un boycott aide les Israéliens, également, à revisiter leur comportement et à s’opposer aux politiques d’occupation caractérisées.
Les mouvements de la société civile se sont montrés efficaces, politiquement, en contraignant l’Afrique du Sud à respecter le droit, ainsi que dans l’opposition à la guerre américaine au Vietnam ; avec une pression internationale analogue, les perspectives d’une paix juste, dans notre région, seront renforcées.
Je pense qu’un boycott général d’Israël, incluant l’économie, la culture, le sport et les échanges universitaires, est nécessaire actuellement, en particulier après que les (diverses) factions politiques palestiniennes aient accepté un cessez-le-feu, et que néanmoins les droits des Palestiniens continuent à être violés quotidiennement et les manifestations pacifiques brutalement réprimées par les forces israéliennes d’occupation : la réponse internationale à ces graves événements est insuffisante.
A un tel stade critique, il ne suffit pas de s’opposer à l’occupation par des discours. Je pense que toute forme d’action non-violente ayant la moindre chance d’alléger l’occupation est une nécessité, afin d’exercer une pression sur un Etat qui ne respecte ni les résolutions des Nations unies, ni le droit international.
Un embargo sur les armes à destination d’Israël et des rétorsions économiques, s’ajoutant aux boycotts universitaire et culturel, s’imposent aujourd’hui.
Comme attendu, le boycott des universitaires britanniques a suscité un tollé international, et les gens qui ne se sont jamais élevés contre la routine d’une politique israélienne consistant à fermer les lycées et universités palestiniens et à ériger des barrages routiers afin d’empêcher les professeurs, les employés et les étudiants de parvenir jusqu’à leurs campus, tuant des étudiants et des enseignants palestiniens se rendant à leurs cours, sont les mêmes qui ont poussé les hauts cris contre la décision de l’AUT, au nom de la morale et des libertés académiques.
Pour ces contempteurs du boycott, les libertés académiques israéliennes sont plus importantes que notre droit à la vie et à la liberté, sans parler de notre droit à l’éducation.
Où étaient les débats consacrés à la liberté académique des Palestiniens citoyens d’Israël, alors même que leur demande de pouvoir créer une université arabe était constamment repoussée ?
Les soutiens d’Israël évoquent le fait qu’il y a des étudiants arabes, qui étudient dans les universités israéliennes, afin de tenter de défendre l’attitude (soi-disant) libérale d’Israël. Mais ceci tourne à la farce sinistre, lorsqu’on sait que, bien que représentant un cinquième de la population d’Israël, les Arabes ne représentent, jusqu’à ce jour, qu’à peine 6 % des effectifs universitaires de ce pays.
L’action de l’AUT a été vaincue au moyen de l’intimidation, de la manipulation de la mémoire de l’Holocauste, par l’argent, grâce à des accusations d’antisémitisme, mais le courage moral des personnes qui ont tenté de rappeler Israël à ses devoirs envers la population palestinienne, ce courage demeure.
Effrayer les contempteurs d’Israël en diffusant leurs analyses et avis personnels a pu sembler utile, à court terme, mais le groupe croissant de ces contempteurs effrayés finira par dominer son silence, un jour, et le processus enthousiasmant de la prise de conscience et de la mobilisation qui a accompagné toutes les manifestations de mise en place du boycott vont persister, en dépit du turnover (tant des étudiants que des enseignants), et il ne peut que prendre de l’ampleur.
Le 19 mai dernier, au moment même où des efforts étaient déployés afin de retourner la décision de boycott prise par l’AUT et où la signature d’un accord de coopération entre l’Université palestinienne Al-Quds et l’Université hébraïque de Jérusalem intervenait, une université de colons de Jérusalem Est était en train de confisquer le Mont Scopus et de s’étendre, rapidement, en direction du Mont des Oliviers.
Je suis personnellement concerné par cette affaire, car je suis diplômé de la faculté de médecine de l’Université Al-Quds, et j’ai participé aux deux projets universitaires qui furent évoqués lors de la signature de cet accord, en affirmant que la paix pourrait être réalisée au moyen de la coopération, et non du boycott.
En tant que l’un des vingt étudiants ayant subi des faux programmes éducatifs, à de simples fins de relations publiques et de propagande politique, et en fin de compte, de normalisation, j’ai fait part de mes objections dans un article publié dans Palestine Report, intitulé "Un cadeau dont on connaît le prix" [A gift given and its price], publié le 3 novembre 1999.
L’éclatement de l’Intifada et la réaction israélienne consistant à repousser sine die ce genre de projets les avait gelés, mais pour un temps (seulement).
Malgré l’acceptation fort malencontreuse, par son administration, de projets de normalisation avec des institutions officielles israéliennes, Israël persiste à être le seul Etat qui ne reconnaisse pas les diplômes délivrés par l’université Al-Quds. Je suis un résident de Jérusalem, et j’ai besoin de la licence médicale israélienne pour pouvoir pratiquer la médecine dans ma propre ville occupée.
Je me suis inscrit à l’examen de licence médicale israélien, supposé me donner le droit d’exercer la médecine à Jérusalem, mais cela m’a été refusé, au motif que l’Université Al-Quds n’est pas accréditée par le ministère israélien de la Santé.
Actuellement, je suis une spécialisation en France, et certains de mes collègues se spécialisent au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, après avoir passé avec succès les examens idoines. La politique de normalisation de l’administration de l’Université Al-Quds n’a été d’aucun secours pour les étudiants empêchés par des barrages et la muraille (de Sharon) de se rendre sur leurs campus, et elle n’a pas évité aux terrains de l’Université d’être confisqués aux fins de construction de ladite muraille.
Je ne peux qu’être étonné de voir d’aucuns prendre des mesures antidémocratiques afin de rendre un signalé service à l’occupation, en prenant des mesures allant à l’exact opposé des aspirations nationales, de l’opinion publique et de l’opinion déclarée d’une majorité, d’après les études statistiques effectuées par l’université de Bir Zeit auprès d’enseignants, d’employés et d’étudiants de cette université.
La coopération, en ces circonstances, est de la fumisterie ; on ne saurait mettre sur le même pied les occupants et les personnes subissant l’occupation étrangère. Lorsque nous serons libres et indépendants, et qu’ils auront renoncé à leur oppression de à leur occupation, nous pourrons coopérer avec les Israéliens, en hommes et femmes libres, et non en sujets qui n’en peuvent mais, privés de tous droits civiques, politiques, et même humains.
Le rôle que peuvent jouer les Palestiniens, consistant à initialiser et à catalyser le mouvement arabe et international de boycott et à s’opposer à la normalisation avec Israël est un rôle clé, car nous sommes, quelque part, le port israélien ouvrant sur le monde arabe.
Depuis l’accord de Sharm el-Sheikh, on voit apparaître, de temps en temps, des entrefilets dans la presse israélienne, concernant les échanges commerciaux avec des pays arabes, comme l’huisserie vendue à l’Arabie saoudite, les fruits vendus au Koweït et le lancement d’exportations de rations militaires en direction de l’Irak, pour ne pas parler des marchés ouvertement conclu avec l’Egypte, la Jordanie et la Mauritanie.
Bien entendu, les Palestiniens vivant sous occupation subissent des contraintes et une absence d’alternative qui les contraignent parfois à traiter avec des Israéliens, à travailler avec eux ou à consommer certains produits israéliens de première nécessité, mais ceci ne saurait légitimer le comportement permissif, inutile et nocif de certains hommes d’affaires palestiniens qui ont lié leurs intérêts privés à la promotion des affaires israéliennes en Palestine.
Même si les autorités palestiniennes sont liées par des relations commerciales normalisées avec Israël, conformément aux accords d’Oslo, il reste "politiquement correct" de boycotter les produits des colonies.
Il y a des communautés villageoises palestiniennes, dont les citoyens, tel ceux du village d’Aseira al-Shemaliyyah, dans les faubourgs de Naplouse, ont réussi à boycotter Israël en déclarant ce village "Israëli product-free" [exempt de tout produit israélien], aussi longtemps que durera l’Intifada.
En boycottant Israël et les firmes internationales qui soutiennent cet Etat, on forme à l’indépendance, à la solidarité avec les victimes de l’occupation israélienne et on renforce un sentiment d’unité en vue d’une cause juste.
Il est essentiel, en même temps que le boycott, de convaincre les personnes et les organisations concernées d’investir directement dans des projets de développement académique et économique palestiniens, plutôt que de s’associer à des projets conjoints palestino-israéliens qui servent bien plus les intérêts israéliens que les intérêts palestiniens.
Un investissement direct respecterait l’autonomie des Palestiniens, au lieu de perpétuer la relation coloniale entre l’oppresseur et ses victimes.
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Samah Jabr
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