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Palestine -

Toujours pas de justice pour les massacres d'Octobre 2000

Par

> www.jkcook.net.

Jonathan Cook est écrivain et journaliste. Il vit à Nazareth, Israël. Son rapport complet sur les morts d'octobre 2000 et les auditions de la Commission Or se trouvent dans son livre Blood and Religion: The Unmasking of the Jewish and Democratic State ("Sang et religion, démasquer l’Etat juif et démocratique") (Pluto Press, 2006).

Le 2 octobre 2000, alors que l'armée israélienne commençait à réprimer de façon impitoyable le deuxième Intifada dans les territoires occupés, Aseel Asleh, 17 ans, rejoignait des dizaines de milliers d'autres citoyens palestiniens en Israël qui descendaient dans les rues pour protester et exprimer leur solidarité avec leurs parents de l'autre côté de la Ligne Verte.

Toujours pas de justice pour les massacres d'Octobre 2000


Les familles des tués d'octobre 2000 protestent à Jérusalem Ouest après la diffusion du rapport Mazuz, en janvier 2008 (photo Adalah).

En fervent partisan de la non violence, Asleh portait un T-shirt marqué du logo d'un groupe célèbre de coexistence juive et arabe, Graines de Paix, et il marchait avec sa famille, ses amis et ses voisins à travers sa ville, Arrabeh, au nord d'Israël.

Quelques heures plus tard, Asleh était mort, le visage contre la terre d'une oliveraie. Une balle, tirée à bout portant par un fusil de la police, avait sectionné une artère à la base du cou dans ce qui a ressemblé étrangement à une exécution.

Le mois dernier, après une bataille de sept ans pour obtenir justice, les parents d'Asleh et ceux des douze autres manifestants palestiniens tués en Israël au début de l'Intifada, ont appris que les policiers responsables de la tuerie ne passeraient très certainement jamais en justice.

Le procureur général d'Israël, Menachem Mazuz, a dit aux familles que les enquêtes étaient closes. Dans la plupart des cas, faute de preuves, a-t-il prétendu, et dans les cas où des preuves existaient, les policiers avaient agi en état de légitime défense, pensant que leurs vies étaient en danger.

La décision fut un rude coup non seulement pour les familles mais aussi pour le cinquième de la population d'Israël, qui est palestinienne. Dans une explosion de colère et de frustration contre l'inaction continuelle de l'état, une journée de grève générale a été organisée, poussant les citoyens palestiniens dans les rues une fois de plus.

"Le sang arabe ne vaut rien"

La mère d'Asleh, Jamila, brandissait une photo de son fils pendant que la foule déferlait des ruelles étroites de la ville voisine de Sakhnin, où deux autres jeunes avaient été tués. Elle a dit aux marcheurs que les familles poursuivraient leur lutte : "Nous ne resterons pas inertes et nous montrerons au monde combien cette administration est raciste, pour que chacun sache ce qui se passe dans l'Etat d'Israël."

Son emploi de l'adjectif "raciste" pour qualifier l'administration israélienne est loin d'être de la rhétorique incendiaire. En octobre 2000, lorsqu'elle et son mari, Hassan, sont allés chercher le corps de leur fils, on leur a tendu un compte-rendu hospitalier. Sur la première page, il y avait un tampon : "opération ennemie". Une enquête officielle ultérieure a montré que même les plus anciens commandants de la police du pays pensaient que les citoyens palestiniens étaient "les ennemis" et agissaient en conséquence.

Shawki Khatib, président de l'organisme politique principal de la minorité palestinienne, le Haut Comité de Surveillance, a dit aux marcheurs que la décision de Mazuz prouvait qu'en ce qui concernait les autorités israéliennes, "le sang arabe n'avait aucune valeur." Son affirmation a trouvé un allié improbable. Le quotidien israélien Haaretz a rapporté que, peu après l'annonce de Mazuz, le Premier Ministre israélien Ehud Olmert a rencontré les responsables de la minorité et a reconnu que, si les 13 manifestants avaient été juifs, les conclusions du procureur général auraient été différentes.

Le Comité de Suivi et le Centre juridique Adalah, qui représente les familles endeuillées, disent qu'ayant épuisé les voies légales à l'intérieur d'Israël, ils vont maintenant se tourner vers la communauté internationale. Ils ont collecté un quart de million de signatures qui protestent contre la décision de Mazuz et demandent aux Nations Unies de protéger la minorité palestinienne d'Israël.

La lutte pour la justice a rappelé à la minorité qu'en cas de troubles, la citoyenneté israélienne ne sert à rien si vous êtes un Palestinien.

La clôture des dossiers des treize morts par Mazuz arrive après sept ans d'obstruction et de dérobades flagrantes de la part de la police israélienne, des hommes politiques, des autorités d'investigation et du système juridique. Mazuz a dit que le manque de preuves l'avait obligé à prendre sa décision, et parce que les familles endeuillées n'avaient pas coopéré avec les enquêteurs. Quel que soit le fondement réel de l'une ou l'autre assertion, la faute incombe entièrement sur Mazuz et ses fonctionnaires.

Ce qui est certain, c'est qu'à chaque stade de l'affaire, les organes officiels ont essayé de masquer les preuves qui suggéraient que la police avait appliqué la politique du "tirer pour tuer" contre les manifestants palestiniens sans armes au début de l'Intifada. Une piste conduisant, semble-t-il, aux principaux ministres du gouvernement peut-être à l'origine de l'ordre, ou du moins qui l'ont approuvé, a été dissimulée.

Comme l'a dit le président du parti de droite Meretz, Zahava Gal-On, la décision de Mazuz fut la "chronique d'un évident étouffement" [de l'affaire].

La Commission Or

La preuve, qui est apparue surtout par mégarde, a émergé après trois années d'auditions par une commission d'enquête constituée à contrecœur à la fin 2000 par le Premier Ministre de l'époque, Ehud Barak. Il a nommé un juge principal, Theodore Or, pour diriger un comité chargé d'examiner les 13 meurtres, dans le fol et, comme cela s'est avéré, désespéré espoir qu'il pourrait récupérer les votes de la minorité palestinienne et défaire son rival Ariel Sharon aux prochaines élections.

Alors que la Commission Or se préparait à ouvrir ses premières sessions, l'unité d'investigation de la police, connue sous le nom de Mahash, aurait dû être en train de collecter et de passer au crible les preuves, et d'interroger les officiers de police et les témoins. Au lieu de cela, elle s'est servie de la création de la commission d'enquête comme excuse pour différer ses investigations jusqu'à ce que le rapport final de la commission soit publié.

La réticence du Mahash à enquêter sur la police peut s'expliquer facilement : la plupart des membres de son équipe étaient des policiers en service ou d'anciens policiers. De façon étrange, le juge Or a intégré deux enquêteurs du Mahash à sa propre équipe, où ils ont fait la preuve d'une égale inefficacité.

Des révélations préjudiciables ont émergé des auditions d'enquête, en dépit du travail de la commission plutôt que grâce à lui. Le juge Or a décidé que ce n'était pas le boulot de l'enquête de mener un examen et une investigation sur les 13 morts et il a ignoré les dossiers bourrés de preuves fournies par les familles endeuillées et leurs avocats.

Néanmoins, plusieurs policiers, démontrant une arrogance qui a semblé surprendre le juge Or, ont fait des témoignages se mettant eux-mêmes, ou d'autres, en cause. De nombreux officiers ont aussi exprimé le mépris dans lequel la police tenait la minorité palestinienne.

Leurs témoignages comportaient en particulier deux déclarations choquantes.

La première était que la police avait utilisé des balles réelles et des balles caoutchouc-acier contre des manifestants sans arme – un fait bien connu de la minorité palestinienne à l'époque, mais qui avait été énergiquement démentie par la police et par le gouvernement.

Dans le cas de la plupart des manifestants tués, le Ministre de la Justice a enterré en toute hâte les corps sans procéder à des autopsies, en contravention avec son devoir légal. Dans les cas où des balles ont été extraites, elles n'ont pas été examinées. En l'absence de preuves solides, la police a déclaré que les balles prouvaient seulement que les manifestants eux-mêmes étaient armés. L'existence de tirs à balle réelle expliquait même, a dit la police, pourquoi plusieurs manifestants avaient été touchés au dos : parce que les tireurs auraient tiré derrière eux.

La deuxième déclaration était que les commandants supérieurs de la police, Yehuda Wilk et Alik Ron, et peut-être le Premier Ministre lui-même, ont approuvé l'usage d'unité de tireurs d'élite anti-terroristes – la première fois dans l'histoire d'Israël qu'ils avaient été déployés à l'intérieur d'Israël et utilisés contre des civils.

En septembre 2003, le juge Or a enfin publié un long rapport, critiquant la police en général pour son traitement de la minorité palestinienne. Cependant, n'ayant pas interrogé la majorité écrasante des citoyens palestiniens qui avaient été les témoins directs de la brutalité de la police, dont des centaines qui avaient été grièvement blessés, il a admis ne pas être en mesure de traduire individuellement en justice les policiers qui avaient tué les manifestants.

Enquête de basse priorité

Le juge Or a pourtant trouvé qu'il y avait suffisamment de preuves pour mettre en examen deux policiers responsables de 3 des 13 morts. Il a ordonné au Mahash de reprendre immédiatement ses investigations de manière à ce que les poursuites individuelles contre les policiers puissent être lancées.

Tant la police que le gouvernement ont répondu en suggérant qu'il était trop tard pour trouver les coupables. Le Ministre de la Justice de l'époque, Yosef Lapid, a déclaré : "Les corps ont été enterrés depuis longtemps. Il n'y a ni balle, ni ombre de preuves, et pas de témoin."

Comme nous l'avons vu, ce n'était pas vrai. Mais cela a fourni au Mahash l'alibi dont il avait besoin pour continuer à éviter d'enquêter sérieusement.

Lors du premier anniversaire de la publication du rapport de la commission, un juge Or exaspéré a reproché au Mahash de ne faire aucun progrès dans son enquête. Alors seulement le Mahash a-t-il commencé à bouger. Mais mener une investigation a semblé de basse priorité et le Mahash a demandé que la famille de Aseel Asleh autorise l'autopsie de son fils enterré depuis longtemps.

Les Asleh avaient déjà fait savoir qu'ils refuseraient une telle demande, à la fois parce qu'ils ne voulaient pas profaner la dernière demeure de leur fils alors qu'il était évident que le Mahash n'allait pas lancé une investigation sérieuse, et parce que les experts en balistique convenaient qu'il n'y avait pratiquement aucune chance d'identifier la culpabilité de la police à partir d'une balle extraite si longtemps après les faits.

Comme l'a observé Meir Gilbao, criminologue éminent et ancien chef de l'Unité d'Investigation sur les crimes d'Israël : "Toutes les blessures [mortelles] ont été causées soit par des balles caoutchouc-acier, à partir desquelles on ne peut pas remonter à un fusil spécifique, soit par des balles réelles tirées par des M-16 qui éclatent dans le corps et qu'on ne peut donc pas faire correspondre à une arme."

Néanmoins, lors d'une conférence de presse de septembre 2005, le chef du Mahash, Herzl Shviro, a justifié sa décision de clôturer les investigations principalement sur le fait que les familles n'avaient pas coopéré au sujet des autopsies. Le procureur général Mazuz l'a soutenu.

Bizarrement, Shviro, ayant découvert que le Mahash ne pouvait identifier aucun des policiers qui avaient tué les manifestants, ni tenir pour responsable aucun des commandants qui avait donné l'ordre de tirer à balles réelles, a autorisé son équipe à ignorer toutes les autres accusations potentielles qui pourraient être portées contre des officiers à titre individuel. Les officiers dont on savait qu'ils avaient fait un faux témoignage, fabriqué des preuves, violé les règlements ou refusé de coopérer avec l'enquête du Mahash, n'ont fait l'objet d'aucune poursuite, ni même de mesures disciplinaires.

Par exemple, Yitzhak Shimoni, l'un des principaux suspects du tir contre Aseel Asleh, a refusé de se soumettre au détecteur de mensonges pour expliquer des incohérences dans son témoignage. Non seulement il n'a pas été interrogé par le Mahash ou puni par ses commandants, mais il a été promu inspecteur chef du secteur.

La conférence de presse de Shviro a choqué nombre d'observateurs. L'historien célèbre Tom Segev a commenté que le Mahash "a donné l'impression d'être l'avocat de la défense des policiers." Un des membres de la commission, Shimon Shamir, académicien distingué, a qualifié la décision du Mahash de "difficile à accepter", soulignant que même le juge Or pensait qu'il y avait assez de preuves pour mettre deux policiers en examen.

Mazuz a essayé de surmonter la crise. Mais lorsque la direction politique de la minorité palestinienne a entamé une grève de la faim et menacé de porter le cas devant la Cour internationale de Justice, le procureur général a fait marche arrière. Il a annoncé que les conclusions du Mahash seraient réexaminées.

Il a confié l'examen au service des poursuites judiciaires du Ministère de la Justice, dirigé par Eran Shendar, un fonctionnaire qui avait été, au début de l'Intifada, en charge du Mahash, le même Mahash qui n'avait pas réussi à mener à bien les premières investigations maintenant au centre de la controverse. Le conflit d'intérêt a scandalisé même le quotidien de droite Jerusalem Post.

Pour essayer d'obliger le Ministère de la Justice à faire une investigation sérieuse, le Centre juridique Adalah a envoyé un rapport complet intitulé "Les accusés" examinant l'échec du Mahash à enquêter sur les meurtres d'octobre 2000. Le rapport établit que le Mahash "a caché des faits significatifs et publié un rapport falsifié sur les événements."

Deux ans et demi plus tard, la mascarade d'enquête du Mahash est revenue au point de départ. Mazuz a annoncé, lors d'une conférence de presse du 27 janvier, qu'il s'en tenait aux conclusions de 2005.

Cette fois, beaucoup des medias israéliens l'ont soutenu, espérant finalement laisser l'enquête reposer en paix. Le site web du journal le plus populaire en Israël, Yediot Ahronot, a mis en ligne un article citant un responsable du Ministère de la Justice qui continue à accuser les familles.

"Les familles ont refusé l'autopsie ; les familles comme le public arabe tout entier ont refusé de coopérer avec l'investigation qui a eu lieu à la suite des émeutes", clame le responsable. "Un tel refus a des conséquences."

Mazuz a laissé entrevoir une petite lueur d'espoir; Il a dit qu'il y avait deux incidents pour lesquels il était possible d'identifier le policier responsable mais cela nécessiterait "une autopsie de plusieurs cadavres." Il a ajouté cependant : "Il n'y a aucune garantie qu'une telle procédure conduise à une quelconque mise en examen."

Ce mois ci, les amis juifs d'Aseel Asleh à Graines de Paix ont organisé une manifestation devant le Ministère de la Justice pour demander à Mazuz de modifier sa décision. Ils ont fait signer une pétition portant le message suivant : "Si les tués avaient été juifs, vous n'auriez pas osé fermer le dossier… Si les protestataires avaient été juifs, et même s'ils étaient devenus fous, qu'ils auraient jeté des pierres ou porté des armes, aucun officier n'aurait tiré et aucun manifestant n'aurait été tué."

Source : Electronic Intifada

Traduction : MR pour ISM

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