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Gaza - 20 janvier 2009
Par Abdellah Ouahhabi
Départ de Roissy-Charles de Gaulle le dimanche 18 janvier 2008 à 15 heures 10 sur un vol de Egypt Air. Arrivée au Caire à 20 heures 30. De nouveaux amis que je me suis fait à l’occasion de cette mission individuelle d’interposition humanitaire ont appelé leurs amis au Caire et je suis attendu dès l’aéroport. Surprise : ces derniers sans me connaître ont réservé et payé la nuit d’hôtel. Merci. Mais je sais que ce n’est pas moi le véritable destinataire : ils voulaient que l’opération réussisse. Merci pour les Palestiniens.
Le lendemain, dès l’ouverture des bureaux, je suis au Consulat français du Caire : je donne à savoir que je vais à Gaza et que je vais solliciter la protection de la France pour moi et pour la famille qui va me recevoir.
Je sui très bien reçu : à certains moments, il fait chaud au cœur de se sentir Français. Dans la discussion, il se confirme qu’un cessez-le-feu a été officiellement proclamé, « mais on ne sait jamais… »
Je pars tout de suite en taxi collectif vers El Arich, près de Gaza. Dans le taxi, on cause.
L’Égypte est un beau pays. Je comprends les amoureux de ce pays. Et ses habitants sont très chaleureux. On traverse bientôt le Canal de Suez et on longe un désert de dunes de sable, comme au Sahara. Sauf qu’on passe régulièrement à des espaces très verts irrigués à des paysages désertiques. Terre millénaire. Deux ou trois familles de bédouins avec leur dromadaire et leur tente.
Je questionne sur El-Arish. C’est une ville de deux cent mille habitants. Elle a vécu de 1967 à 1979 sous occupation israélienne. La population en garde des souvenirs très mitigés au regard de la gestion économique du pays depuis.
Ça me gêne : je suis contre un régime raciste, ethnocratique et théocratique qui a su traiter avec discernement ses colonisés… en fait une certaine catégorie de colonisés. Parce que les Palestiniens, selon l’idéologie fondatrice d’Israël, sont une race inférieure qui doit abandonner sans autre façon ses terres au « peuple élu ».
Mais la discussion se termine quand on commence à doubler des colonnes de camions surchargés. Mes compagnons m’expliquent que « ça n’arrête pas » et que « ça vient du monde entier ». « Mais ça ne passe pas, ou si peu ».
La route dure trois heures 30. À une pause-déjeuner, je croise un groupe de Turcs.
- Va leur parler, me conseille mon chauffeur, ce sont des médecins qui reviennent de Gaza.
- Parlez-vous français ? Non ? Do you speak english ? Yes ? Très bien. Vous êtes passés par où ? Qu’avez-vous vu à Gaza ? Quelle est la situation ? Est-ce que les bombardements, les combats continuent ? Aujourd’hui, peut-on entrer à Gaza par Rafah ?
Ce que j’apprends est consternant. Les médecins ne parlent pas anglais. Ibrahim, le porte-parole de l’association humanitaire (Inasani Yardim Vakfi) est ému. Il sort son appareil photo et me montre des corps déchiquetés ; tu vois, celui-là, on n’a pas retrouvé le haut de son corps. Et voici sa petite fille, c’est l’enfant de cinq ans qui a un bandeau sur la tête. Une bombe est tombée sur la maison que les habitants croyaient solide. Il y avait plusieurs familles – que des femmes des enfants, des vieillards ou des chefs de famille.
Le médecin, Muhammad, s’anime en turc. Le porte-parole traduit : « Oui, l’hôpital a été bombardé avant-hier ; on a failli y rester. C’était vraiment délibéré ».
- Et là vous partez ?
- Non, on a laissé des membres de notre groupe. Nous avons constaté que c’est vrai carnage et que notre aide est insuffisante ; nous rentrons pour demander à notre association de réunir des fonds pur créer un centre médical, un petit hôpital pour résoudre le retard médical : il y a trop de patients pour le nombre de médecins disponibles sur place.
- Et les autorités égyptiennes, elles ne vous ont pas aidés ?
- Nous sommes sortis avec sept malades graves. Nous avions négocié avec l’Arabie saoudite leur transport par avion vers Djedda. Ils étaient dans les brancards au pied de l’avion, puis les autorités égyptiennes sont venues et elles ont emporté ces blessés graves dans une unité de soin pénitentiaire. C’est scandaleux. Je ne suis as sûr qu’ils vont être soignés correctement. Il en a encore qui pensent à régler des comptes politiques dans un contexte d’extrême urgence humanitaire.
Brusquement le silence. Il est lourd, palpable.
Je demande à prendre ses photos sur mon ordinateur portable. Merde ! Le câble ne correspond pas. Mais j’en ai un autre. Je cherche. Mon chauffeur me presse : il faut partir maintenant.
Il me hèle : « Tu n’a pas encore bu ton thé ! ». Trop tard, comme le chauffeur, je sui pressé d’y aller.
J’échange mon adresse mail avec le Turc. Il a promis de me les envoyer… s’il a le temps.
On part chacun de son côté. On est à 140 kilomètres de El-Arish.
La suite de la route se fait en silence. On croise sans arrêt des ambulances du SAMU local, toutes sirènes hurlantes. Certaines y vont ; les autres ramènent des blessés dans les hôpitaux environnants. Elles roulent très vite. Isolément. Parfois en convois.
La mort. L’assassinat en masse. Le crime de guerre délibéré pollue l’atmosphère intérieure et le paysage. Des idées noires roulent dans ma tête : comment peut commettre une destruction à visée délibérément démographique quand on se réclame de la Shoah ?
Je ne veux plus entendre parler de Shoah sans poser la question : êtes-vous sioniste ? Parce que si oui, vous êtes des monstres égaux aux Fascistes et surtout aux Nazis. Sinon plus, parce que vous, vous avez répété l’irrépétible. Parce que je croyais l’humanité vaccinée une fois pur toutes.
Arrivée à El-Arsih. Vite un autre taxi vers le passage de Rafah. On m’y attend.
En effet, des amis ont parlé à des amis qui ont parlé à des amis. À Gaza une femme me téléphone : « S’il vous plaît, ma maison a été bombardée. Je n’ai plus de quoi faire la cuisine ; achetez-moi un réchaud à gaz. On ne trouve plus rien chez nous et je n’ai pas de quoi cuisiner pur ma famille. De plus on héberge des orphelins. »
Cette dame travaillait dans une bibliothèque offerte par la ville de Dunkerque et par le Ministère français de la culture. La bibliothèque est un tas de décombres. Elle est quand même très heureuse parce que sa famille ne compte pas de décès. Un coup de chance. J’ose :
- Y avait-il des combattants du Hamas chez vous ?
- Vous rigolez ! Ils ont arrosé des quartiers entiers. Venez voir par vous-même et racontez, s’il vous plaît, aux Français !
Je ne sais plus quoi dire. Dans ma tête une question : à quoi bon offrir aux Palestiniens des aéroports, des bibliothèques qu’Israël détruit ? A la limite, c’est la puissance occupante qui doit répondre devant la communauté internationale de la sécurité et des structures de vie normale de la population occupée. En aidant les Palestiniens ne fait-on pas le jeu des criminels de guerre israéliens au motif que « de toute façon ils ne respectent pas le droit international ». Pourquoi ne pas les laisser aller au fond de leur logique sanguinaire ? Tant qu’à faire, l’aide essentielle pour les Palestiniens ce serait des armes afin qu’ils puissent imposer la réalisation des résolutions inappliquées de l’ONU…
Mais le carnage est tel que des être humains normaux ne peuvent pas rester sans faire de l’humanitaire.
Enfin, je suis devant l’entrée officielle vers Gaza. Un univers dantesque. Un ou deux kilomètres de camions chargés, de voitures particulières, des ambulances, des véhicules à plaque d’immatriculation diplomatique.
Les policiers s’évertuent à canaliser le flux : « il faut faire demi-tour ! Non ! Tout de suite ! J’ai dit immédiatement, sinon il va vous en cuire. Allez ! »
Les chauffeurs, une foule de journalistes de tout pays se presse devant un haut portail noir, comme l’entrée de l’enfer. Des suppliques, des énervements, un Australien parle un arabe approximatif ; ses amis attendent derrière lui et hoche la tête synchrones : « J’ai toutes les autorisations, regardez ! ».
- Non, les Israéliens exigent que vous passiez par le check-point qu’ils contrôlent, plus loin à trois kilomètres d’ici.
Micheline, une journaliste française qui est là pour un média alternatif sur le Net, et qui fait partie de l’International Solidarity Movement, se tourne vers moi :
- Mais je ne veux pas ! Pourquoi donc les Égyptiens veulent-ils me faire passer par les fourches caudines de ceux qui ont commis ces crimes ? Je suis Française à la fin, j’ai le droit de passer par où je veux puisque les papiers sont en règle. Il n’y a pas de visa pour les Français en Égypte ni en Israël.
Je questionne un Indonésien qui tient une caméra. Il est là depuis dix jours à faire le pied de grue. On le balade. On lui demande des « autorisations ». Et ça change chaque fois. Au début c’était celle de son ambassade qui était exigée. Puis, maintenant, on lui réclame celle de sa chaîne de télévision. Aujourd’hui, il avait tout, mais il attendu toute l’après-midi. Il retournera demain : « On ne sait jamais. C’est totalement irrationnel. Il y a une idée générale : il faut cacher l’ampleur du carange à l’opinion mondiale. Ça, c’est très clair. C’était clair pendant les bombardements. C’est clair maintenant ».
- Et les Israéliens, ils laissent passer ?
- Non. J’ai vu un confrère saoudien, il a été les voir. Ils ont refusé. Il est revenu ici.
Je rentre avec l’Indonésien à El-Arish. Tiens, on est dans le même hôtel, sympa et pas cher (7 euros la nuit). Il prend un thé ; je prends une bière sans alcool. Il me dit avec un ton résigné : « Je ne comprends le rôle des autorités égyptiennes dans cette affaire. Nous sommes dans un cas d’extrême urgence. Normalement aucun accord international bilatéral ne tient plus. J’ai entendu dire qu’il y a eu encore des combats aujourd’hui et des civils touchés. Pauvres Palestiniens ! ».
Il part rejoindre ses compatriotes. Je retournerai demain à Rafah. Si ça ne marche pas, je vais aller voir si les Israéliens me laissent passer. Sinon, j’appelle notre ambassade et j’appelle notre Ministère des affaires étrangères : Monsieur Kouchner n’a qu’à appeler son homologue au sein du « gouvernement ami de Monsieur Sarkozy » pour lui demander de respecter les normes international du droit et aussi les accords bilatéraux. Je ne vois pas pourquoi les Israéliens se promènent librement chez nous si nous, nous ne pouvons pas aller et venir dans un territoire qui n’est pas à eux et qu’ils administrent.
Si ça ne se débloque pas, je vais tenter d’autres moyens y compris par la mer. Qu’ils me tirent dessus. Moi, je considère que la mission humanitaire en cas de carnage considéré par l’Onu comme un crime de guerre passe avant la compromission des autorités égyptiennes. Et je tiens à mettre mes autorités nationales, mon gouvernement, mon président devant ses responsabilités : même si l’interposition n’est plus une urgence, le témoignage l’est toujours.
La conclusion du jour :
Vous avez été des centaines à déclarer votre sympathie et votre solidarité avec le peuple martyr palestinien. Vous avez exprimé le désir de venir. Certains voulaient partir avec moi et n’ont pas eu le temps de faire leurs formalités.
Moi-même je me suis posé la question de l’opportunité de venir quand j’ai entendu les premiers échos d’un futur cessez-le-feu : à quoi bon une mission d’interposition dans ce cas ?
Certains m’ont dit : va et témoigne.
D’ici, entre El Arish et Rafah, au regard des efforts que je vois déployer pour étouffer l’ampleur du carnage, pour ne pas dire pour cacher la boucherie, je n’ai qu’une chose à vous dire : VENEZ NOMBREUX POUR VOIR PAR VOUS-MÊME ET EN PARLER AUTOUR DE VOUS APRES VOTRE RETOUR.
Il est 22 heures 48 à El-Arish. À demain.
Abdellah OUAHHABI
(correspondant Alter Info à Paris)
Mardi 20 Janvier 2009
Dernière minute par téléphone avec M.Ouahhbi mercredi 21/01/09 à 22h30 heures locales (information Souad Takdemt) :
M. Ouahhbi :
"J'ai bien rencontré une équipe de français de la securité civile en uniforme.Ils partent pour GAZA en avant-garde pour faire la liste des besoins en matériel. Il ne s'agit pas d'une force militaire d'interposition, mais d'une mission d'aide humanitaire pour rechercher des personnes qui se trouvent encore sous les décombres suite aux bombardements aveugles d'Israël."
Source : Alter Info
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