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Gaza - 5 octobre 2004
Par Silvia Cattori
Khaled habite avec sa famille dans le camp de réfugiés de Jabaliya. Nous l’avons connu il y a deux ans à Gaza. Agé de quarante ans, Khaled est représentatif de cette génération de Palestiniens qui sont rentrés en Palestine en 1994 et qui faute de papiers ne peuvent aller nul part.
Jabaliya se trouve pour le cinquième jour sous les feux des roquettes et des missiles israéliens. La voix de Khaled est devenue amère. Vivre dans ce camp infâme qu’est Jabaliya, n’est pas une vie. Les maisons où s’entassent des grandes familles, sont grises, délabrées.
L’armée israélienne, basée dans l’immense camp militaire qui longe la frontière d’Erez toute proche, maintien les réfugiés de Jabaliya dans un état d’insécurité permanent.
Leurs conditions, déjà désastreuses, se sont encore aggravées depuis que Sharon a lancé ses troupes à l’assaut. Khaled témoigne.
S.C. : Comment avez-vous passé ces heures sous les bombes ?
Khaled : Comment vous dire. Comment dire ce que l’on ressens quand on vous envoi 200 tanks, qu’il y a des obus qui tombent, des enfants enfermés à l’intérieur des maisons qui crient terrorisés, qu’il y a eu des cadavres et des cadavres qu’il faut aller ramasser, que vous avez vu des centaines de blessés. Que vous voyez des mères devenir folles de chagrin et des enfants qui vous font peur tant ils sont étranges. Il y a eu du sang, du sang et encore de sang. J’accuse Kofi Annan.
Faites tout ce qui est en votre pouvoir pour faire savoir à Kofi Annan que je l’accuse au nom de mon peuple.
Que nous l’accusons pour complicité avec les crimes de Sharon. Ici il ne faut plus parler ni des Nations Unies ni du Conseil de Sécurité. J’insiste.
J’accuse Kofi Annan qui devrait condamner les crimes d’Israël et il ne le fait pas. C’est pire que ce que les Serbes ont fait aux Kossovars ce qu’Israël nous fait.
Pourquoi le monde ne fait-il pas la guerre aux Serbes et non pas à Israël pour commencer ?
S.C. : Pouvez-vous résumer Jabaliya vu de l’intérieur du camp ?
Khaled : J’habite le quartier Tal Azzaar qui est agressé. C’est mon quartier qui est encerclé, frappé par les tirs de missiles. Les soldats sont postés à 200 mètres. Ils sont protégés par les chars. On ne les voit pas. Ils sont en train de détruire tout ce qu’ils voient, les maisons, les arbres, les animaux, les gens. C’est le pire des endroits ici où je suis. Ils contrôlent toute la rue. On ne peut plus ni entrer ni sortir des maisons.
Les ambulances qui doivent nécessairement passer dans notre rue pour transporter les blessés à l’hôpital se font tirer dessus. Ils tirent sur les enfants.
Des enfants qui dès qu’ils voient des chars se précipitent dehors. Vous savez les enfants sont curieux. Et ils ne mesurent pas le danger.
S.C. : C’est leur réponse aux tirs Palestiniens qui ont tué deux enfants israéliens tout ceci ?
Khaled : C’est ce qu’ils disent. Ils ont mené des opérations militaires lourdes, ils ont tués des enfants et des femmes, plus de 300 blessés, 75 morts en quatre jours, pour quelle victoire militaire ? Ils n’arriveront jamais à faire cesser les tirs. Aussi longtemps qu’ils enferment et menacent notre peuple les tirs vont continuer. Malgré leur agression ce matin deux missiles ont encore été lancés.
S.C : Vous n’avez pas peur ?
Khaled : Oui nous avons très peur. Les enfants pleurent. C’est l’horreur. Nous ne dormons plus depuis quatre nuits.
S.C. : Que disent les habitants qui souffrent ? Qu’il faut cesser de riposter pour éviter les agressions israéliennes ?
Khaled : Bien sûr il y a des personnes qui veulent aller travailler chaque jour en Israël. Ici c’est la faim. Donc une partie de la population est fatiguée et affamée et elle ne veut pas que les missiles Qassam les empêchent d’aller gagner leur pain. Mais la majorité de la population est en faveur de la résistance. Même si c’est une résistance dérisoire en comparaison des moyens militaires que possède Israël.
S.C. : Alors allez-vous continuer de vous attirer ses foudres ?
Khaled : Il y a très peu de résistance. Les missiles Qassam ne sont pas la raison du massacre en cours. Pour preuve. A Khan Younes, à Rafah, il n’y a jamais eu de lancement de missiles Qassam. Ils ont tout détruit. Ils ont perpétré massacres sur massacres sans discontinuer durant ces années. Voici ce que nous pensons ici. Tout cela était prévu.
Dans une guerre on s’attaque à des combattants. Ici il n’y a pas de combattants. Israël s’attaque à des civils. Ils tuent des innocents. Des gens qui s’enfuient, des gens qui courent pour aller chercher une miche de pain. 90 % des tués et blessés sont des enfants, des femmes, des vieillards.
Ce sont des civils qu’ils massacrent non pas des hommes armés.
Dites-le à vos médias qui font croire qu’Israël tire sur des « terroristes », des « activistes ». Nous sommes des civils sans défense. Il n’y a qu’un faible pourcent de résistants parmi les tués. Même pas 10 %.
S.C. : Les blessés sont-ils gravement touchés ?
Khaled : Dans chaque famille on pleure ses morts et ses blessés. Ils sont parfois dans un état pénible à supporter. Mon cousin, que vous connaissez, a perdu un pied quand les soldats ont lancé le premier missile avec leurs avions sans pilotes.
S.C. : C’est un genre d’avion nouveau ?
Khaled : Ce sont des avions sans pilotes munis de cameras qu’Israël utilise depuis longtemps pour filmer, mais qui jusqu’ici n’étaient pas chargés de missiles. La nuit surtout. Ils éteignent toutes les lumières du quartier. Et avec leurs camera à rayons infrarouges ils voient comme en plein jour. Notre vie est surveillée par les airs, par les postes militaires au sol. C’est une vie ça ? Comment voulez-vous que les jeunes ne rêvent pas de se venger de toutes ces humiliations ?
S.C. : Qu’es-ce que vous ressentez à l’égard du monde ?
Khaled : On se sent très isolé. Il n’y a pas de monde. Le monde est rempli de déchets vus d’ici. De lâches. A commencer par ces régimes arabes qui se plient aux volontés de Bush. Nous considérons les Nations Unies, toutes les nations réunies dans cette instance comme complices des massacres. J’accuse Kofi Annan personnellement. Pour nous Sharon et Kofi Annan cela ne fait plus aucune différence.
Kofi Annan devrait demander que l’on frappe Israël qui nous frappe. Israël n’a jamais respecté aucune résolution de l’ONU, il est coupable d’extermination. Les Israéliens ne font aucune différence entre les résistants et les civils.
Ils ont lancé une roquette l’autre jour contre une école. Il y avait là 20 jeunes âgés de 15 à 20 ans. Treize ont été tués sur le coup. Cinq d’entre eux sont entre la vie et la mort. S’ils survivent ils vont souffrir jusqu’à la fin de leurs jours, qui sait. Ils ont tué six personnes qui revenaient d’un enterrement. Ici on enterre chaque jour des enfants. Ils sont en train de faire un vrai massacre. Ils tuent des innocents.
C’est cela qu’il faut dire au monde. Qu’Israël ne combat pas des combattants mais s’attaque à des enfants. Il y a quelques jours ils ont bombardé et détruit l’école enfantine ici à côté de ma maison.
S.C. : Qu’est-ce que vous voulez dire au monde ?
Khaled : Je n’ai plus rien à dire au monde. Nous cessons de lancer des SOS.
Le monde est sourd. Le monde n’entend pas les appels des Palestiniens qui se font massacrer par les avions et les chars d’Israël. Nous n’allons plus jamais appeler au secours.
On a trop longtemps fait des appels à l’aide dans le vide. Je vous prie, faite savoir à Kofi Annan que nous le considérons complice avec les crimes d’Israël. Jamais l’ONU n’a fait en sorte que les droits des Palestiniens soient respectés par les colons juifs qui nous martyrisent.
J’insiste. J’accuse Kofi Annan.
S.C. : Que pouvons-nous faire ?
Khaled : Votre appel, pouvoir parler de la souffrance ici, m’a fait beaucoup de bien. Nous savons qu’il y a des gens, même si peu nombreux, qui ne sont pas indifférents à notre malheur, dehors.
Nous savons ce qu’à fait le Mouvement de solidarité internationale pour Gaza, pour Rafah. Nous savons que Rachel Corrie est morte pour nous défendre. Que Tom Hurndall est mort pour défendre les enfants. Que James Miller est mort pour filmer les enfants de Rafah.
Nous sommes très tristes pour eux et leurs familles.
Même si tous ces êtres n’ont pas pu changer Israël, ce qu’ils ont fait comme geste nous a touchés : ils sont venu de loin pour dire aux Palestiniens qu’ils sont encore des hommes.
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