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Palestine - 2 décembre 2004
Par Yitzhak Laor
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du jeudi 2 décembre 2004
De temps à autre, resurgissent les fantômes du «passé juif» sous l’aspect d’un acte ignoble dans les Territoires occupés. Quelqu'un réussit à prendre des photos, le sujet fait la une, comme ce jeune Palestinien obligé de jouer du violon, puis, très rapidement, l’affaire tourne à l’ "exception".
La majorité des soldats n’obligent pas un violoniste à jouer aux barrages, ils ne tuent pas les fillettes, ils ne s’assurent pas de leur mort.
Mais les mélodrames aident à dissimuler les grandes vérités. Les Israéliens n’aiment pas la vérité. Et leur vérité se trouve profondément à l’intérieur des Territoires occupés.
N’était la propension des Israéliens à se mystifier eux-mêmes, ils auraient depuis bien longtemps réussi à lire ce que tout Palestinien sait et qui appartient à la langue parlée de ce dernier, par arabisation du mot hébreu (al-makhsoum, pluriel : al-makhassim [de l’hébreu makhsom, barrage]) fruit de 13 ans de la vie des Palestiniens : les barrages ne sont pas une création de l’Intifada.
Le jour où l’on écrira vraiment son histoire, il apparaîtra clairement que les barrages ont donné naissance à l’Intifada.
Eux-mêmes sont nés en 1991, deux ans avant les Accords d’Oslo, et se sont renforcés après la mise sur pieds de ceux-ci. Seul le parfait aveuglement des Israéliens – qui en savent plus sur les nouveaux restaurants proposant des fruits de mer à New York que sur les barrages de Cisjordanie , ceux-là mêmes qui la coupent et la fragmentent et font de ses habitants les victimes de soldats, bons ou sadiques – seul cet aveuglement pouvait faire naître la « surprise » de l’automne 2000 : que voulaient-ils, tout était déjà réglé ?
Mais pour celui qui fait la file pendant de longues heures, cela ne fait pas de différence si celui qui se tient devant lui est sadique ou sympathique. Demandez à n’importe quel Israélien forcé de faire la file pendant un quart d’heure à la banque, si cela fait une différence que l’employé soit sympathique ou non. Mais de cette aversion des Israéliens pour les files, on peut apprendre quelque chose de plus important : ils n’ont pas la moindre idée de ce que subissent les Palestiniens au jour le jour.
Le régime des barrages ne fait pas partie de l’Intifada, même s’il s’est accru et fortifié « grâce à elle ». Le régime des barrages ne disparaîtra pas avec la fin de l’Intifada ; il appartient tout entier à cette absence de volonté israélienne à renoncer à tous les territoires de Cisjordanie , y compris l’ensemble des colonies. Le régime des barrages est destiné à assurer le contrôle israélien sur la vie des Palestiniens.
C’est pourquoi il s’est renforcé après la signature des accords d’Oslo.
De ce point de vue, les colonies ne sont pas la raison des barrages. Les colonies « isolées » et les blocs de colonies (une partie du « nouveau » consensus de l’ère Oslo) constituent le prétexte des barrages mais révèlent leur rôle véritable : nous serons présents partout, nous fragmenterons le territoire palestinien par tous les moyens, nous les contrôlerons.
Celui qui connaissait la Cisjordanie depuis les accords d’Oslo, savait combien une multitude de personnes avaient subi d’humiliations. Celui qui connaissait les accords d’Oslo du côté palestinien savait de quoi ils avaient l’air là-bas : en dehors des expropriations, en dehors des routes de contournement, en dehors de l’expansion des colonies, les barrages étaient devenus leur cauchemar, un cauchemar inconnu chez nous.
Des mélodrames comme celui de ces soldats à l’esprit obtus qui ont obligé un Palestinien à jouer de son violon, remettent l’exception dans sa place à part et dissimulent, une fois de plus, le système.
A nouveau, « les générations du peuple juif » reviennent au centre de l’image.
A nouveau, les Juifs se rappelleront leur passé.
A nouveau, c’est de notre vie qu’il sera parlé, de notre déclin.
A nouveau, il ne sera rien dit de la souffrance palestinienne et à nouveau, les tabloïds donneront dans leurs grands titres le ton de lynchage de notre vie.
Mais la vérité est plus forte : celui qui n’est pas prêt à se séparer de la Cisjordanie , de toutes ses colonies, ne comprend pas qu’il prépare des générations de soldats de barrages – sadiques ou sympathiques.
Maintenant, nous aurons encore droit à un de ces discours « pleins de franchise » du chef d’état-major. Il dira de nouveau que « nous avons échoué » et nous comprendrons que son échec à lui, c’est notre échec à nous, et que dès lors il n’y a pas d’échec. Car si le chef d’état-major avait vraiment échoué, il aurait dû s’en aller, comme le commandant de la division de Gaza.
Et nous continuerons à entendre de loin en loin ce que chaque enfant palestinien endure chaque jour, aux barrages, avec ou sans volontaires à la belle âme venus établir un barrage à figure humaine, car la décision de savoir qui passera et qui ne passera pas, qui aura ou n’aura pas soif, revient, non pas à ce peuple qui passe sur les routes, mais à des étrangers, sous l’égide de l’unique démocratie du Proche Orient.
Article paru dans le Point d'information Palestine
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Source : www.arabworldbooks.com/
Traduction : Michel Ghys
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