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Palestine - 6 mai 2006
Par Diana Buttu
Diana Buttu est une avocate Palestino-Canadienne. Elle a travaillé comme conseiller juridique auprès du Département des Négotioations Palestinien et comme conseiller du Président Abbas.
Regarder la télévision occidentale ou lire les articles de journaux sur la Palestine me laisse toujours perplexe.
Si je n'habitais pas en Palestine et que je n'étais pas témoin de l'occupation militaire israélienne, j'aurais l'impression que les Palestiniens et les Israéliens sont égaux – que l'occupation n'existe pas - et que ce conflit requiert seulement des "concessions" des deux côtés.
J'ignorerais que, depuis près de 39 ans, la liberté a été ôtée aux Palestiniens et j'ignorerais qu'ils ont été dépossédés de leur terre depuis plus de cinq décennies.
J'ignorerais que ce conflit est entre, d'une part, une partie occupée - les Palestiniens - luttant pour leur indépendance, leur liberté et l'application du droit international, et d'autre part, la partie occupante - Israël - qui a refusé la liberté, l'indépendance et l'application du droit international aux Palestiniens depuis presque quatre décennies.
Malheureusement, je ne suis pas la seule personne à avoir cette impression.
Des études indépendantes effectuées en Europe et aux Etats-Unis ont conclu, elles aussi, que la couverture médiatique de cette occupation est tendancieuse à un tel niveau qu'un nombre significatif de personnes interrogées dans un sondage pensaient que c'était les Palestiniens qui occupaient Israël !
Alors que Jérusalem est l'un des principaux centres de reportages pour les journalistes occidentaux, on se pose la question : pourquoi les reportages venant d'Israël/Palestine dévient-ils autant de la réalité de la situation ?
La réponse ne se trouve pas dans la partialité des médias - ce qui ne veut pas dire qu'il n'y en a pas ou que le contrôle éditorial des reportages venant de Palestine ne soit pas important - mais elle se trouve dans un certain nombre d'autres facteurs qui ont une incidence sur la façon dont les journalistes couvrent ce sujet.
De par mon expérience avec les journalistes occidentaux, j'ai appris que la grande majorité veulent vraiment raconter l'histoire et qu'ils ont soif de connaissance mais ils sont gênés par un certain nombre de facteurs, dont quelques uns sont décrits ci-dessous.
Israël formule le sujet du jour
Les journalistes occidentaux sont souvent victimes de la formulation des sujets et des arguments par Israël.
Prenons par exemple la récente victoire du Hamas au Conseil Législatif Palestinien.
Depuis les élections, Israël a fait grand cas de la non reconnaissance par le Hames de l'Etat d'Israël et des accords signés.
Israël, pour sa part, affirme qu'il "ne traitera pas" avec le nouveau gouvernement palestinien et il a fait aligner ses alliés occidentaux sur cette position.
En conséquence, chaque article a été placardée en Une des journaux les plus importants et les érudits ont été amenés à penser que le Hamas pourait reconnaître l'Etat d'Israël et les accords signés.
Cependant, la réalité de la situation est ignorée.
Israël, depuis près de six décennies, n'a pas reconnu les Palestiniens, ce qui est, essentiellement, le coeur de ce conflit.
Si Israël avait reconnu les Palestiniens, il ne se serait pas engagé dans une entreprise coloniale sur leurs prepres terres et ne continuerait pas à leur refuser leur liberté.
Les déclarations de Golda Meir et d'autres affirmant que les Palestiniens n'existent pas ont été ignorées par les journalistes ainsi que les actions des responsables israéliens jusqu'à aujourd'hui, qui établissent des colonies sans faire référence aux Palestiniens.
Les journalistes semblent avoir oublié qu'Ariel Sharon, pour sa part, avait déclaré Oslo nul et non avenu lors de sa première année de mandat et que Kadima - un parti dont l'unique but est l'unilatéralisme - a été formé avant le moindre doute d'une victoire du Hamas.
Quand le Président Abbas était au pouvoir, Israël "n'a pas traité avec lui" et a même laissé entendre, parfois, qu'il était "non pertinent". Le passé récent semble être ignoré et au lieu de cela, les Palestiniens sont de nouveau sur la défensive.
Terminologie et Chiffres
Une des raisons au manque de compréhension claire de l'occupation est l'abus de la terminologie. (Pour le moment, je n'aborderai pas le terme "terroriste" qui n'a pas de définition précise mais je me concentrerai plutôt sur les termes pour lesquels il y a une définition précise).
Prenons, par exemple, le terme "occupation militaire." Sans indiquer clairement aux lecteurs/téléspectateurs que ce conflit se déroule entre une partie Occupante (Israël) et le peuple qu'elle occupe (les Palestiniens), les journalistes enlèvent la base juridique à laquelle Israël doit se conformer.
En tant que puissance occupante, Israël a le devoir de protéger les Palestiniens – et non expérimenter son utilisation d'armements lourds et la torture sur les Palestiniens.
De ce point de vue, la politique israélienne d'assassinat est non seulement illégale mais répréhensible.
Un jour, j'ai eu une longue conversation avec un journaliste occidental qui déplorait l'utilisation permanente du terme "occupation" par une activiste palestinienne alors qu'elle était interviewée.
Quand j'ai demandé quel était le problème, le journaliste a répondu : "Nous sommes fatigués d'entendre parler d'occupation", oubliant que moi, en tant que Palestinienne, je suis fatiguée de la vivre.
Examinons également le terme "colonie" - qui disparait de plus en plus dans le reportage occidental en faveur des termes tels que "quartier Juif" et "banlieue Juive" (tous deux sont utilisés facilement par des journaux tels que le New York Times).
Comment le lecteur moyen va-t-il comprendre que ces structures sont illégales, que leur présence interdit à des milliers de Palestiniens le droit et l'accès à leur terre, que la présence de ces "quartiers" a mené à la construction de structures militaires fortifiées autour des villes, des cités et des villages palestiniens, et que, en conséquence, ces "habitants" Palestiniens innofensifs doivent obtenir la permission des Israéliens pour pouvoir passer à côté de ces "quartiers" apparemment inoffensifs ?
Le terme "Frontière de 1967" semble également s'altérer dans le reportage occidental. (Peut-être est-ce un reflet de la vérité puisque Israël avait effacé la frontière de 1967 pendant des décennies).
Au lieu de cela, les journalistes font des sauts théoriques pour me justifier et à d'autres que la colonisation de Jérusalem-Est par Israël est d'une façon ou d'une autre "différente" de celle du reste de la Cisjordanie , en raison du fait qu'Israël "a incorporé" ces secteurs à Israël.
En conséquence, ils baissent souvent le nombre de colons - 220.000 au lieu du véritable chiffre de plus de 430.000 – en prétendant que la différence se compose des colons de Jérusalem dont le statut est légèrement "unique".
Ce que ces journalistes ne réalisent pas, c'est que pour les habitants palestiniens de Jérusalem-Est, c'est la même occupation et le même refus de liberté.
Parce qu'Israël a incorporé les secteurs ne signifie pas qu'il a mis fin à son emprise militaire sur les résidants palestiniens de la ville, qui doivent encore prouver que Jérusalem est leur "centre de vie", à la différence des colons israéliens qui vivent sur leur terre.
En ne faisant pas référence à ces questions de façon exacte, la réalité devient brouillée : sans "occupation", sans "colonies" et sans "colons", ce conflit peut être facilement vu comme un conflit dans lequel les Palestiniens détestent les Juifs et les Juifs détestent les Palestiniens.
Si ça saigne, on en parle
L'étranglement méthodique d'Israël sur les Palestiniens est rarement rapporté. La politique quotidienne de bouclage, les confiscations continues des terres pour établir des colonies et des routes pour Israéliens-seulement et la construction incessante du Mur sont maintenant vues par beaucoup de journalistes occidentaux comme la "routine", une action inintéressante.
Cependant, c'est derrière cette activité méthodique et quotidienne que se trouvent les actes de violence qui sont rapportés.
Au lieu de cela, les reportages des télévisions et des journaux sont pimentés de violence. Comme je l'ai rapidement appris quand je me suis installée en Palestine, "Si ça saigne, on en parle".
Mais on ne parle pas de tous les actes de violence.
Les opérations suicides palestiniennes font toujours la Une des informations tandis que l'utilisation par Israël des armes militaires contre un peuple sans Etat, sans armes, ne sont pas rapportées.
Quand la prochaine opération suicide se produira (parce qu'il y en aura une) les décès israéliens seront certainement rapportés, tandis que les meurtres des Palestiniens qui mènent aux opérations suicides ne le sont pas.
Au lieu de cela, les reportages des journaux et des télévisions utiliseront des expressions telles que "interruption du calme relatif" ou "casser l'accalmie par la violence". les nombreux décès palestiniens seront ignorés.
En tant qu'habitante de Gaza, je vis avec les bombardements quotidiens des tanks et des F16 israéliens. Le bruit est constant et énervant. Leurs cibles sont aléatoires, comme on l'a vu avec les dernières victimes.
En une seule semaine au mois d'avril, plus de 2.000 obus de tanks ont été tirés. Environ 16 Palestiniens ont été tués en raison des actions militaires israéliennes. Les reportages sur ces meurtres ont souvent été cachés dans une ligne d'un article faisant référence au nouveau gouvernement du Hamas.
Quand j'ai appelé le chef de bureau d'un grand journal occidental pour me plaindre, il a déclaré : "Il y a un conflit militaire de bas niveau ici maintenant et nous ne pouvons pas rapporter chaque mort de Palestinien et certainement pas la mort des militants."
Quand j'ai demandé s'il ferait un reportage sur la mort de 16 soldats israéliens tués dans un délai de deux semaines, il a répondu, "oui….Je vois ce que vous voulez dire."
Le fait que la mort des Palestiniens ne soit pas rapportée vient souvent du manque de déplacement des journalistes dans la Bande de Gaza ou dans l'ensemble de la Cisjordanie .
On m'a dit "qu'aller à Naplouse était un trekking" tandis que Tel Aviv peut être visité en un après-midi.
La présence d'un nombre croissant de checkpoints militaires israéliens rend difficile pour les journalistes d'aller dans les secteurs en dehors de de l'enveloppe de Jérusalem/Ramallah/Bethlehem et rend encore plus difficile pour les journalistes de rendre leurs articles avant l'heure limite.
En conséquence, Naplouse est une visite planifiée alors que Tel Aviv ne l'est pas. Par conséquent, les décès des Palestiniens sont une ligne dans un article ; Les décès des Israéliens sont couverts en détail.
Cela dit, le lent conflit continu, exempt de bain de sang, est quelque chose que tous les journalistes devraient couvrir.
Au cours des 39 dernières années, Israël a construit plus de 150 colonies pour Juifs-seulement (avec environ 430.000 colons israéliens) sur 60% du Territoire Palestinien Occupé.
Ces colonies sont reliées par un réseau de routes de contournements, accessibles seulement aux Israéliens ayant des plaques d'immatriculation israéliennes.
En revanche, 3.5 millions de Palestiniens sur le territoire desquels ces colonies sont établies sont relégués dans de petites réserves (apparentées à des Bantustans) et doivent obtenir une autorisation israélienne pour circuler d'une réserve à une autre (apparenté aux "lois de passage" en Afrique du Sud à l'époque de l'Apartheid).
En dépit de la présence de l'Autorité Palestinienne, les Palestiniens sont contrôlés par Israël. Couplé à la perfection du régime de bouclage d'Israël et de son étranglement de Gaza, toutes ces questions ne devraient pas continuer à être ignorées.
Le Gouvernement Palestinien
Quans on ne connaît pas grand chose sur la région, il est facile de croire que les deux côtés, les Palestiniens et les Israéliens, sont égaux, parce que la structure du gouvernement palestinien ne reflète pas la réalité de l'occupation.
Les Palestiniens, comme les Israéliens, ont un président et un premier ministre.
Ils ont même un Ministre du Tourisme et un Ministre des Télécommunications.
Cependant, à la différence de leurs contre-parties israéliennes, les responsables palestiniens ont besoin de l'autorisation des Israéliens pour pouvoir travailler.
Tous les responsables palestiniens doivent demander une autorisation israélienne pour se déplacer sur leur propre territoire et ils sont tous sujets aux checkpoints israéliens.
Et, dans le cas des Ministères du Tourisme et des Télécommunications, ils n'ont absolument aucun contrôle sur les secteurs qu'ils doivent développer (à savoir les frontières et le spectre électro-magnétique).
Les journalistes occidentaux ignorent en grande partie le déséquilibre de pouvoir entre ces deux gouvernements.
Le régime israélien peut, pour sa part, prévoir et se développer. Il peut imposer des couvre-feux quand il le désire, construire des colonies quand il le choisit et ériger des checkpoints quand il veut. En bref, Israël a le contrôle de pratiquement tous les aspects de la vie des Palestiniens.
Le gouvernement palestinien, pour sa part, ne peut tout simplement pas faire la même chose – non pas parce qu'il est "faible" comme cela a été dit, mais parce que c'est un gouvernement qui est sous réglementation militaire, contrôlé par un régime différent. L'Autorité Palestinienne n'a jamais eu de contrôle tangible sur un territoire particulier.
Même dans la Bande de Gaza, où les Israéliens ont évacué leurs colonies, Israël continue à contrôler le secteur où même l'importation de la farine et des médicaments est sujette aux caprices israéliens. Ce qui également n'aide pas, ce sont les déclarations des responsables palestiniens qui mènent les gens à croire que les Palestiniens sont égaux aux Israéliens.
Des déclarations comme : "Nous ne laisserons pas Israël nous isoler", ou "Nous rejetons le mur d'Israël", servent seulement à alimenter l'impression que les Palestiniens et les Israéliens sont égaux.
Peut-être,qu' au lieu de cela, les responsables palestiniens devraient dire la réalité : "Nous sommes un gouvernement représentant un peuple sous contrôle militaire israélien. Nos pouvoirs sont limités par ce contrôle militaire. Nous recherchons seulement notre liberté et nous comptons sur la communauté internationale pour qu'elle ne tienne pas Israël au-dessus du droit international ou qu'elle ne nous voit pas comme étant à ses ordres."
Conclusion
Certaines des questions mentionnées dans cet article peuvent être abordées par deux moyens :
(1) des campagnes d'information systématiques destinées à éduquer les journalistes et
(2) en tenant les journalistes pour responsables lorsqu'ils ne rapportent pas correctement ce sujet.
En bref, si nous faisons pas cela, les journalistes ne demanderont pas à Israël de mettre fin à l'occupation militaire, et ils demanderont aux Palestiniens d'apprendre à l'accepter !
Source : http://www.thisweekinpalestine.com/
Traduction : MG pour ISM
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Résistances
Diana Buttu
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