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Palestine - 27 mai 2008
Par Khaled Amayreh
Cherchant à punir les critiques pour oser révéler la vérité au monde, Israël a interdit à un professeur américain d'entrer dans le pays, et à un journaliste palestinien de quitter les territoires occupés pour un bref voyage en Allemagne.
L'agence de contre-espionnage d'Israël, le Shin Bet (1), selon son acronyme hébreu, a détenu et déporté le Professeur Norman Finkelstein, éminent historien et intellectuel juif américain.
Finkelstein est un critique bien connu de l'état israélien d'apartheid, en particulier de ses 41 ans d'occupation néo-nazie de Jérusalem Est, de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza.
Il est aussi l'auteur d'un ouvrage célèbre intitulé : "L'industrie de l'holocauste – Réflexions sur l'exploitation de la souffrance des Juifs" (2), dans lequel il accuse Israël et les cercles sionistes alliés d'exploiter la mémoire des victimes de l'holocauste à des fins politiques.
Finkelstein est arrivé à l'aéroport Ben Gourion le vendredi 23 mai pour rendre visite à des amis, à Hébron, où près de 200.000 citoyens palestiniens sont de fait les otages des caprices et de l'humeur d'une petite centaine de colons juifs fanatiques qui croient que les non Juifs, en Israël et en Palestine, doivent être traités comme des porteurs d'eau et des bûcherons, ou expulsés et/ou exterminés.
Dès son arrivée à l'aéroport, le professeur, âgé de 55 ans, a été emmenée à toute vitesse et sans cérémonie à un bureau du Shin Bet proche, où il a été questionné sur ses prises de position pendant plusieurs heures.
Peu de temps avant qu'il soit mis dans un avion en partance pour Amsterdam, son point de départ, l'historien juif s'est vu signifier qu'il ne pourrait plus revenir en Israël pendant dix ans.
Finkelstein est le fils de survivants du ghetto de Varsovie et des camps de concentration. Il a écrit dans son livre : "(…) Je suis vraiment inquiet au sujet de la mémoire de la persécution de ma famille. La campagne actuelle de l'industrie de l'holocauste, pour extorquer de l'argent à l'Europe au nom des victimes de l'holocauste dans le besoin, réduit le statut moral de leur martyr à celui du casino de Monte-Carlo (…)."
Comme on pouvait le prévoir, l'establishment sioniste puissant, à la fois en Israël et en Amérique du Nord, n'a pu tolérer ces critiques audacieuses et minutieusement étayées. En 2007, il a été obligé de quitter l'Université DePaul à la suite d'une virulente campagne de diabolisation orchestrée par de puissantes organisations sionistes, dont la contribution du Professeur Alan Dershowitz, supporter inconditionnel de l'apartheid en Israël.
Et maintenant, voici mon histoire :
Il y a quelques semaines, j'ai reçu une invitation de l'Institut allemand de Relations Extérieures pour participer à une conférence sur le thème : "Comment les journalistes doivent-ils concilier le patriotisme avec le professionnalisme journalistique en temps de guerre". Je suis allé au bureau du représentant allemand à Ramallah, où j'ai été interrogé sur mon orientation politique et si j'avais ou non des liens avec des organisations que le gouvernement considérait comme "terroristes".
J'ai toujours été et continue d'être un journaliste indépendant. Je n'ai jamais appartenu ni ai été membre d'une organisation ou d'un parti politique. Evidemment, comme tout un chacun, j'ai certaines positions au sujet de l'occupation israélienne de mon pays et l'oppression de mon peuple. Et alors ? Après tout, aucune honnête personne sous le soleil ne s'attend à ce que nous aimions nos bourreaux.
J'ai fait des efforts laborieux et j'ai frappé à de nombreuses portes pour obtenir l'autorisation qui me permettrait d'aller à l'étranger pour 2 jours de conférence. Cela fait 13 ans que je n'ai pas été autorisé à voyager à l'étranger, à part un bref voyage à La Mecque et à Médine avec feue ma mère, pour le pèlerinage du Haj, en 1997.
La semaine dernière, je suis allé au Bureau de Coordination du District local (DCO) de Dura, ma ville, en espérant qu'ils pourraient m'aider. L'employé a envoyé mon curriculum vitae au bureau du Shin Bet d'Hébron. Le lendemain, on m'a dit plutôt sèchement que j'avais "une interdiction de voyager, pour des raisons de sécurité". Sans autre détail.
Dans cette affaire, j'ai découvert la douloureuse vérité, à savoir que les responsables du DCO de l'Autorité Palestinienne ne sont rien de plus que d'insignifiants intermédiaires entre les autorités israéliennes d'occupation et les citoyens palestiniens. Ils n'ont absolument aucune autorité ou influence, ce qui résume le statut global de l'Autorité Palestinienne toute entière vis-à-vis d'Israël.
La semaine dernière, on m'a conseillé d'aller au quartier général de l'Administration Civile de l'armée israélienne à Hébron pour essayer d'obtenir un permis du service de sécurité ("security clearance") ou au moins expliquer mon cas aux responsables.
Là j'ai vu des douzaines de Palestiniens demandeurs de permis, entassés comme des animaux dans une cage, attendant d'être autorisés à entrer. On m'a dit qu'il y a des gens qui ont attendu leur tour pendant dix heures. Certaines des personnes présentes avaient besoin d'un permis de voyager pour des raisons médicales urgentes, comme subir une opération chirurgicale dans un hôpital de Jérusalem Est.
J'ai calculé que même si je devais subir l'humiliation de poireauter pendant 10 ou 15 heures dans cette cage métallique en forme de couloir, constamment observé par des soldats à la gâchette facile en haut des tours de contrôle militaires, juste à côté, il n'y avait aucune garantie que je puisse entrer et rencontrer un responsable de la sécurité à qui je pourrais expliquer mon cas.
En fait, il était très clair que les soldats se délectaient de l'humiliation et de la persécution indescriptibles subies par les demandeurs de permis palestiniens, tous les jours, dans ce bâtiment à la sinistre renommée.
J'ai réellement pensé que le nom de "Bureau de l'Administration Civile" était complètement inapproprié et que le nom réellement adéquat pour ce service détestable était "Station Centrale d'Humiliation", puisqu'il n'a absolument rien de civilisé.
Il y a quelques jours, j'ai appelé Hussein Sheikh, chef du Bureau de Coordination des Affaires Civiles pour la Cisjordanie , et je lui ai expliqué mon problème.
Je l'ai informé que je n'avais jamais été ni arrêté ni détenu par les Israéliens et qu'il n'y avait pas de réelle justification à cette interdiction de voyager. Il a été d'accord pour que je lui faxe mon curriculum vitae. Cependant, après avoir attendu plusieurs jours, il était clair que les autorités d'occupation n'avaient prêté aucune attention à sa "médiation" en ma faveur.
Certains ici ont suggéré que je demande leur aide à quelques anciens collaborateurs. Mais je sais bien qu'aborder un chien israélien pour qu'il intercède pour moi auprès des Israéliens, c'est trop me demander. J'ai quand même passé la moitié de ma vie à dénoncer ces excroissances malignes qui permettent à Israël de réaliser beaucoup de ses projets meurtriers en Palestine…
Entraver les journalistes
Il va sans dire qu'Israël, qui classe les Palestiniens soit comme terroristes à annihiler, soit comme collaborateurs, n'a pas le droit de nier aux journalistes palestiniens leur liberté de circulation, en interne ou en externe. Il est évident que sans cette liberté, un journaliste a du mal à faire son boulot correctement.
En tant que journalistes palestiniens, on ne peut pas attendre de nous que nous compromettions notre honnêteté et notre professionnalisme pour obtenir un permis de voyager de la puissance occupante qui se nomme elle-même "le seul Etat démocratique et libre du Moyen Orient".
Nous ne pouvons pas adopter les récits israéliens, utiliser le jargon israélien et répéter les mensonges israéliens. Notre première et principale responsabilité est envers notre conscience.
Israël et ses supporters en Amérique du Nord et en Europe clame jusqu'à la nausée qu'il est un Etat démocratique.
Mais les états véritablement démocratiques n'assignent pas à domicile les journalistes dont les écrits sont jugés non conformes.
Faut-il qu'un Etat se sente désespérément précaire pour se comporter de cette manière, car on peut se demander quels risques sécuritaires résulteraient de l'autorisation d'un journaliste à voyager en Allemagne, un Etat qui embrasse Israël et le sionisme cœur et âme !
Israël est-il inquiet que des gens comme Khalid Amayreh et Norman Finkelstein dénoncent sa criminalité plus que ce qui a déjà été dénoncé ? Est-ce la raison pour laquelle les autorités israéliennes essaient d'entraver la liberté de circulation des personnes ?
Israël n'a pas le droit de violer grossièrement les droits humains et civils au nom d'un mantra vague et utilisé de façon abusive et gratuite, la "sécurité".
Israël, qui a remué ciel et terre pour obtenir du gouvernement de l'ancienne Union Soviétique qu'il permette à Nathan Sharansky et autres soi-disant "Prisonniers de Sion" de quitter la Russie, commet exactement le même crime en niant à des milliers, ou probablement à des dizaines de milliers de Palestiniens leur droit inaliénable à voyager pour des raisons religieuses, professionnelles, commerciales, sanitaires ou de loisirs.
Nous ne sommes pas des citoyens israéliens, et Israël n'a aucune souveraineté sur nous. De plus, la répression draconienne est incompatible avec la législation internationale.
J'en appelle à tous mes collègues à travers le monde pour protester avec force contre cette violation de mon droit naturel et humain à voyager, d'abord en tant qu'être humain, et ensuite en tant que journaliste.
Enfin, quelques mots à l'Autorité Palestinienne.
Vous maintenez une énorme bureaucratie de milliers de responsables et employés dont le travail principal est supposé être d'aider les citoyens palestiniens à court-circuiter ou à surmonter les restrictions de l'occupation. Il est cependant évident que ces gens ont échoué.
Il est réellement triste et gênant que pendant qu'Israël autorise certains VIP à voyager librement (probablement dans le but que ce traitement préférentiel hâte les buts israéliens pernicieux), ce régime d'occupation continue à nier à la grande masse des Palestiniens leurs droits fondamentaux, dont le droit à se déplacer.
Il est temps que vous exigiez qu'Israël cesse de se mêler de la liberté de mouvement palestinienne. Si vous ne pouvez pas le faire, prenez vos affaires et partez. Ce serait préférable pour votre propre dignité et celle du peuple palestinien.
(1) Shin Bet, ou Shabak, ou GSS (General Security Service) : service de sécurité intérieure d'Israël.
(2) Ed. La Fabrique.
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Khaled Amayreh
27 mai 2008