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Vallée du Jourdain - 18 juillet 2010
Par Haaretz
Quel est le plus cruel?
Expulser une famille urbaine de sa maison du quartier Sheikh Jarrah à Jérusalem, ou raser au bulldozer un campement de pauvres tentes de bergers vivant sur un terrain privé qu’ils ont loué dans la Vallée du Jourdain, la destruction de leurs citernes à eau, leurs tentes et leurs bergeries, et l’expulsion de familles nombreuses du terrain sur lequel elles vivent?
C'est difficile à dire. Mais tandis que les expulsions de Sheikh Jarrah suscitent de l’intérêt en Israël et ailleurs, presque personne ne remarque ou ne proteste au sujet de ce qui se passe dans la Vallée du Jourdain.
Là-bas, loin du regard, Israël tente depuis plusieurs années d’éliminer méthodiquement les habitants palestiniens de ces vastes étendues de terres. Et dans une semaine, lorsque le premier ministre faisait plus de promesses sur un "ensemble de gestes" pour les Palestiniens, afin de s'attirer les faveurs de Washington, les bulldozers de l'Administration civile détruisaient brutalement plusieurs autres campements, mettant à la rue des dizaines d’habitants sans défense et sans ressources.
Mais la Vallée du Jourdain est loin des yeux et du cœur du public et là-bas, Israël peut y faire ce qu'il veut.
Un regard sur le paysage raconte toute l'histoire: La colonie de Beka'ot, avec sa verdure luxuriante et son abondance en électricité et en eau à une extrémité de la magnifique vallée, et les ruines des pauvres campements de bergers de l'autre, sans électricité, ni eau, ni rien. Une image vaut mille mots.
Cela est bien loin des paroles de la vieille chanson de propagande chantée autrefois par la troupe de musique du Commandement Central à propos de la petite colonie dans la vallée qui «surveillait la ligne, demandait la paix et ressortait l'espoir sous forme de fleurs colorées. Appels à la paix? Gestes d'espoir? Allez en parler à leurs voisins.
Cette semaine, Dafna Banai, un militant de Machsom Watch, a décrit les dernières expulsions : 15 familles ont été expulsées de leur campement le 1er Juillet; la semaine précédente, 16 autres familles avaient reçu des ordres d'évacuation et de démolition.
Depuis plus d'un an, des dizaines de blocs de ciment jonchent la vallée empêchant toute entrée et avertissant de « zones de tir" partout où vivent les Palestiniens. Israël a déjà fermé toutes les terres à l'ouest de la route 90 avec des fossés infranchissables, et les résidents ne peuvent en sortir que deux fois par semaine, quand Israël ouvre les portes verrouillées placées sur les routes.
Israël déclare "Zones de Tir" d'énormes quantités de terrains palestiniens privés et expulse les habitants sous le faux et bien-pensant prétexte de s’occuper de leur bien-être, de peur qu’ils soient blessés par les entrainements militaires, mais ces zones de tir ne sont trouvés que sur les terres palestiniennes et jamais sur les terres des colonies.
Avez-vous déjà entendu parler de colons expulsés de leurs maisons parce que leur colonie avait été déclarée comme faisant partie d’une zone de tir? Mais contre ces misérables bergers de la Vallée du Jourdain, tout est permis. C'est la justice israélienne, c’est l'égalité pratiquée par les Forces de Défense Israéliennes (ndt : Forces d’Occupation Israéliennes).
Peut-être que l'explication de cette effroyable politique d'expulsion peut être trouvée dans les commentaires du Premier ministre Benjamin Netanyahu diffusé vendredi dernier sur Canal 10. Lors d'une visite de condoléances à la maison d'une famille de colons en 2001, Netanyahu avait divulgué son plan odieux: Il a déclaré à ses hôtes qu'il proclamerait l'ensemble de la vallée du Jourdain «site militaire désigné."
C'est ainsi que le premier ministre pensait à se moquer des Américains à l'époque, ainsi, ils laisseraient Israël faire ce qu'il veut dans la Vallée du Jourdain. Maintenant, il est à nouveau Premier ministre, et sa ruse fonctionne à merveille. Une Vallée du Jourdain nettoyé de tout Palestinien sera un jour plus facilement annexée à Israël.
L'Administration civile, bien sûr, tente de tromper, de dissimuler et d’ignorer tout cela. Quel lien pourrait-elle avoir avec des actes d'expulsion systématique? Après tout, elle est just inquiète du bien-être des habitants et de la préservation de l'ordre. Si l'expulsion a lieu, l'administration n'est pas celle qui a pris la décision, elle n’agit qu’en qualité d'exécutant.
En tout état de cause, ce qui se passe ici est de l’"auto-évacuation", comme l’a dit le porte-parole et des «structures abandonnées."
«Il s’agit de structures de tôles et de tentes, qui ont été installées récemment, sans les permis nécessaires, dans des zones de tir, mettant en danger la vie des habitants», a-t-il dit.
«La plupart des structures dont on parle ont été abandonnées librement par leurs habitants et quelques-unes ont été détruites. La plupart des gens qui ont construit ces structures possèdent des maisons permanentes dans la vallée, et la plupart des structures étaient déjà abandonnées le jour où elles ont été détruites."
Des propriétaires de maisons permanentes? Avez-vous entendu parler de colons évacués parce qu'ils avaient une autre maison à Petah Tikva?
À bien y réfléchir : les expulsions dans la Vallée du Jourdain sont pires que celles de Sheikh Jarrah. Elles sont plus systématiques, à plus grande échelle, et elles sont commises contre une population plus faible. Mais les manifestants ne viendront pas ici. C'est trop loin.
La zone dégagée la plus fermée
Dans une salle vide qui sert de quartier général au conseil du village déplacé, des militants locaux précisent leurs craintes: Israël cherche à expulser d’ici tous les bergers de la région. Deux grosses araignées tissent en silence leur toile au plafond. Le mois dernier, des dizaines de familles ont reçu des ordres d'évacuation et de démolition, le tout conformément à la loi, bien sûr, la loi de l'occupation.
Le vieil homme, Abdel Rahim Basharat, dit que ce n'est pas un village, c'est une prison.
"Si vous fermez toutes les issues aux bergers, pour eux, c'est une prison, parce que leurs vies sont liées à la terre. S’ils doivent se déplacer dans ce village, ils devront vendre leurs troupeaux, leur seule source de revenu. Nous prendre nos terres, c’est comme nous prendre nos vies."
Basharat a une question: «Est-ce que la zone C signifie évacuation et expulsion?
Et qu’allez-vous lui répondre? Que peut-on lui répondre?
Et il a une autre question: «Pourquoi ne posez-vous pas la question de l'eau?"
Ataf Abu al-Rub, l'enquêteur de B'Tselem dans la région, explique: "Parfois, ces bergers entendent l'eau couler dans les canalisations qui traversent leurs champs en direction des colonies mais ils ont l’interdiction de l'utiliser. Parfois, ils entendent le crépitement de l'électricité dans les fils à haute tension, mais l'électricité est destinée uniquement aux colons. "
Al-Rub dit que c'est la zone dégagée la plus fermée au monde. Quatre familles ont déjà quitté le village, après que les campements aient été détruits plusieurs fois et ils se sont fatigués d’une lutte sans espoir. Les autres persistent dans une bataille désespérée pour leur survie. Nous sortons voir. En nous rendant sur les sites des destructions, nous traversons des champs de blé moissonnés.
La famille d’Abdel Razeq Bani Awda a déjà érigé un nouveau campement. Le 1er Juillet, le précédent a été détruit, et ses ruines se trouvent sur la colline en face. Ils vivaient là-bas depuis 15 ans, sur un terrain privé qui appartient à un habitant de Tubas, qui leur a loué. Ils ont des documents pour le prouver. Maintenant, ils sont coincés au milieu d'un champ de blé; quand l'hiver et l’époque des plantations viendront, ils devront partir d'ici, aussi.
C'est le cinquième endroit d’où ils ont dû partir au cours des dernières années, depuis qu'Israël a commencé à appliquer sa politique d'évacuation et d'expulsion.
Deux familles - un père et son fils et leurs enfants, et 160 moutons, leur seule source de revenu. Les moutons sont maintenant entassés dans de nouveaux enclos, à la recherche d’un abri contre la chaleur.
Que mangeront les enfants?
La route est trop dangereuse pour notre voiture, alors que nous nous frayons un chemin jusqu'à la colline vers les ruines de leur campement qui vient d'être détruit. Il ne reste pratiquement rien de celui-ci. Éparpillés sur le sol, quelques piquets de tente, une cuillère, une bouilloire électrique rouillée, une cafetière noircie, un récipient de tehina renversé et un réfrigérateur en panne. Les restes d'une vie de pauvre. Basharat demande pourquoi Israël détruit également les citernes à eau.
"Les tentes sont une chose, mais pourquoi les citernes à eau? Parfois, ils les vident. Qu'est-ce que les enfants boivent? Et pourquoi viennent-ils toujours quand les temps sont plus difficiles, ou au beau milieu de l'été, quand la chaleur est terrible, ou pendant la saison des pluies, quand il n'y a pas d'autre abri? Ce n'est pas par hasard.
Et pourquoi ont-ils détruit les fours taboune? Ils savent qu'il faut quatre à cinq jours pour construire un nouveau taboune, et en attendant, nous n'avons pas de pain.
Veulent-ils nous faire mourir de faim et de soif? Est-ce cela qu'ils veulent vraiment? Nos enfants savent que c’est l'armée israélienne qui fait cela.
Et ils s’attendent à ce qu’ils se rappellent de quoi quand ils grandiront?"
Les questions de Basharat restent sans réponse et résonnent dans la vallée. Nous nous asseyons sous les restes d'une baraque en tôle qui n'a pas été complètement détruite. Une porte d’un vieux réfrigérateur sert de banc, jusqu'à ce que, lui aussi, s'effondre sous nos pieds. La famille Bani Awda reviendra ici cet hiver. Ils n'ont pas d'autre choix. Ils ont déjà ré-installé une tente. En face, Beka'ot est prospère, il y a un spa là-bas.
Du côté ouest de la colline, il y a un autre camp en ruines. C'est là que la famille Hassan Bani Awda vivait avant sa migration vers l'est. Un autre campement, près de Beka'ot, est toujours debout. Cette famille a eu neuf fois sa maison détruite. Nous nous asseyons en silence et admirerons la vallée. Elle pourrait être si belle, s’il n’y avait pas la laideur de l'expulsion. Nous nous dirigeons vers le campement suivant.
Un ancien autocollant est collé sur une vieille chaise en bois : «Israël est fort, avec Shimon Peres."
Israël est également fort avec Benjamin Netanyahu, en particulier dans le traitement des faibles: Mohammed Bani Awda et ses 11 enfants vivent aussi sous la menace d'expulsion. Il possède 270 moutons et a une moissonneuse-batteuse qui appartient au propriétaire de Tubas.
Cette famille a déjà été forcée de se déplacer à quatre reprises. Maintenant, ils ont reçu l'ordre de démolir la grange à nourriture des moutons.
Est-ce que Mohammed a peur? Il dit: «Ils avancent petit à petit. Ils ont commencé à l'est et quand ils auront terminé de nettoyer le coin là-bas, ils viendront ici aussi. Nous serons la prochaine phase."
Les deux bergers, Basharat et Bani Awda, se consultent. Que faire? Bani Awda suggère de faire appel devant la Haute Cour, et Basharat dit que ça ne sert à rien.
"Il est inutile de faire appel à la loi et à la justice israéliennes. Ils vont déclarer Zone Militaire la totalité de la Vallée du Jourdain et ce sera la fin de l'histoire."
Le fils de Mohammed, Jihad, un berger de 19 ans, porte une casquette de base-ball de l’équipe de New York. Il dit qu'il rêve d'y aller un jour, mais chacun d'entre nous dans la tente sait que cela n'arrivera jamais. Il est peu probable qu'il n’aille plus loin que Jérusalem
Source : http://www.haaretz.com/
Traduction : MG pour ISM
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