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ISM France - Archives 2001-2021

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Israël -

L’impasse du Sionisme : La séparation ou le nettoyage ethnique ? L’enfermement par Israel de Gaza vise à accomplir les deux

Par

Cet article est tiré d'un discours prononcé lors de la Conférence pour le Droit au Retour et un État Démocratique laïque, qui s'est tenue à Haïfa le 21 Juin. Jonathan Cook est un écrivain et journaliste basé à Nazareth, Israël. Ses derniers livres sont "Israël et le choc des civilisations: l'Irak, l'Iran et le Plan pour Refaire le Moyen-Orient" (Pluton, 2008) et "Disappearing Palestine» (Zed, à paraître).

En 1895, Theodore Herzl, le prophète en chef du Sionisme, confiait dans son journal qu'il n'était pas en faveur du partage de la Palestine avec les autochtones. Mieux, il écrivait, «tenter de faire partir discrètement la population (palestinienne) sans le sou de l’autre côté de la frontière en lui refusant un emploi dans notre propre pays.
Le processus d'expropriation et l'élimination des pauvres devront être effectués discrètement et avec circonspection."

Il proposait un programme d'émigration palestinienne exécuté par une politique de séparation stricte entre les immigrants juifs et la population autochtone.

En termes simples, il espérait que, lorsque les organisations sionistes auraient acheté de vastes surfaces de la Palestine et mis la main sur les principaux secteurs de l'économie, les Palestiniens pourraient être forcés de partir en leur refusant le droit de travailler la terre ou de travailler dans l’économie dirigée par les Juifs. Sa vision était celle d’un transfert, ou d’un nettoyage ethnique, à travers une séparation ethnique.

Herzl suggérait que deux solutions sionistes possibles au problème d'une majorité palestinienne vivant en Palestine - la séparation et le transfert – n’étaient pas nécessairement des alternatives mais qu’elles pouvaient se renforcer mutuellement.

Ce n'est pas tout : Il pensait que si elles étaient utilisées conjointement, le processus de nettoyage ethnique pourrait apparaître comme volontaire, le choix des victimes. Il semblerait que cela soit son héritage le plus durable et son innovation majeure pour installer le colonialisme.

Au cours des dernières années, avec la population palestinienne sous domination israélienne sur le point d'atteindre la parité avec la population juive, la menace d'une majorité palestinienne n’a pas encore quitté les Sionistes. Comme il fallait s'y attendre, les débats concernant laquelle de ces deux solutions sionistes devait être poursuivie, la séparation ou le transfert, ont refait surface.

Aujourd'hui, ces solutions sont apparemment encouragées par deux camps idéologiques vaguement associés au Centre-Gauche israélien (les Travaillistes et Kadima) et la Droite (Likoud et Yisrael Beiteinu). Les arguments politiques modernes entre eux reposent sur différentes visions de la nature d'un Etat juif initialement mis en avant par les Travaillistes et les Sionistes Révisionnistes.

Pour comprendre les débats politiques actuels et les événements qui se déroulent en Israël et en Cisjordanie et à Gaza, examinons d'abord l'histoire de ces deux principes dans la pensée sioniste.

Lors des premières vagues d'immigration juive en Palestine, le mouvement dominant des Sionistes Travaillistes et son leader David Ben Gourion proposaient une politique en droite ligne avec l'objectif de Herzl. En particulier, ils promouvaient le double principe du "Rachat de la Terre" et le "Travail Hébreu", qui avait comme principe l'idée que les Juifs devaient se séparer de la population autochtone en travaillant la terre et n'employant que d'autres Juifs.

En étant entièrement autonomes en Palestine, les Juifs pourraient à la fois "guérir" de leur nature à la réputation de Diaspora et priver les Palestiniens de la possibilité de subsister dans leur propre patrie.

À l'avant-garde de cette campagne se trouvait la fédération syndicale sioniste, la Histadrout, qui refusait toute adhésion aux Palestiniens - et, pendant de nombreuses années après la création de l'Etat juif, même au reste des Palestiniens qui sont devenus des citoyens israéliens.

Mais si la séparation était la politique officielle du Sionisme Travailliste, dans les coulisses, Ben Gourion et ses hauts fonctionnaires estimaient de plus en plus que cela ne serait pas suffisant en soi pour atteindre leur objectif d'un pur Etat ethnique.

Les ventes de terrains étaient restées faibles, environ 6% du territoire, et des parties de l’économie appartenant aux Juifs dépendaient de la main-d'œuvre bon marché palestinienne.

Donc, les Sionistes Travaillistes ont commencé à travailler secrètement sur un programme de nettoyage ethnique.
Après 1937 et le Rapport Peel des Britanniques proposant une partition de la Palestine, Ben Gourion a été plus ouvert au transfert, en reconnaissant qu’un Etat juif serait impossible à moins que la plupart de la population autochtone à l'intérieur de ses frontières soit dégagée.

Neuf historiens israéliens ont reconnu l'engagement de Ben Gourion dans le transfert.
Comme le note Benny Morris, par exemple, Ben Gourion «a compris qu'il ne saurait y avoir d'Etat juif et une large minorité arabe hostile en son sein."

Les dirigeants israéliens ont donc élaboré un plan de nettoyage ethnique sous couvert de la guerre, en rédigeant des dossiers détaillés sur les communautés qui devaient être chassées, puis en les passant en ordre, dans le Plan Dalet, aux commandants sur le terrain. Lors de la guerre de 1948, le nouvel Etat d'Israël a été vidé d'au moins 80% de sa population autochtone.

En expulsant physiquement la population palestinienne, Ben Gourion a répondu aux opportunités politiques du jour et a réadapté le Sionisme Travailliste de Herzl.
En particulier, il a accompli l'objectif du déplacement souhaité par Herzl tout en persuadant largement le monde à travers une campagne de propagande que l'exode des réfugiés avait été le plus souvent volontaire. Dans l’un des mythes sionistes les plus connus, réfuté de manière convaincante par les historiens modernes, on nous dit toujours que les réfugiés sont partis parce que les dirigeants Arabes leur ont dit de le faire.

L'autre camp, les Révisionnistes, avait une attitude bien plus ambivalente envers la population palestinienne autochtone. Paradoxalement, compte tenu de leur revendication intransigeante du Grand Israël englobant les deux rives du Jourdain (y compris non seulement la Palestine mais aussi l'Etat moderne de la Jordanie), ils étaient plus disposés que les Sionistes Travaillistes à permettre aux autochtones de rester là où ils se trouvaient.

Vladimir Jabotinsky, le leader du Révisionnisme, observait en 1938 - peut-être dans une rebuffade à l'adhésion au transfert de Ben Gourion – que "c’était abominable pour un Juif de penser que la renaissance d'un Etat juif serait liée à une proposition aussi odieuse que le transfert de citoyens non juifs".

Les Révisionnistes, semble-t-il, se sont résignés au fait que le territoire élargi qu'ils désiraient inclurait inévitablement une majorité d'Arabes. Ils se sont donc moins souciés d’expulser les autochtones que de trouver un moyen pour leur faire accepter une domination juive.

En 1923, Jabotinsky a formulé sa réponse, qui comprenait implicitement la notion de séparation, mais pas nécessairement de transfert : un "mur de fer" d’une force implacable pour intimider les autochtones jusqu’à ce qu’ils se soumettent.

Selon ses propres termes, l'accord des Palestiniens à leur assujettissement pourrait être obtenu seulement "par le mur de fer, c'est-à-dire, l'établissement en Palestine d'une force qui ne serait en aucun cas influencée par la pression arabe"

Passionné par la domination impériale britannique, Jabotinsky envisageait le futur Etat juif en simple termes coloniaux, comme une élite européenne régnant sur la population autochtone.

Cependant, à l’intérieur du Révisionnisme, il ya eu un passage de l'idée de séparation au transfert qui reflétait l'évolution à l’intérieur du Sionisme Travailliste. Ce changement était peut-être plus opportuniste qu’idéologique, et a été particulièrement manifeste quand les Révisionnistes ont senti que Ben Gourion réussait à forger un Etat juif par le transfert.

L'un des disciples de Jabotinsky, Menachem Begin, qui allait plus tard devenir Premier Ministre du Likoud, était en 1948, le chef de la milice de l'Irgoun qui a commis l’une des pires atrocités de la guerre. Il a mené ses combattants dans le village palestinien de Deir Yassine où ils ont massacré plus de 100 habitants, dont des femmes et des enfants.

Bien que ces événements aient été suffisamment sauvages, Begin et ses partisans ont sciemment gonflé le nombre de morts à plus de 250 dans les pages du New York Times. Leur objectif était de répandre la terreur parmi la plus large population palestinienne et l’encourager à fuir.
Il a ensuite noté avec joie : "Les Arabes dans tout le pays, qui ont été induits à croire les contes sauvages de «la boucherie de l’Irgoun, étaient saisis d’une panique infinie et ont commencé à fuir pour sauver leur vie. Cette fuite massive est devenue rapidement une panique folle et incontrôlable."

Ensuite, d'autres personnalités à Droite ont ouvertement adopté le nettoyage ethnique, y compris feu le général Rehavam Zeevi, dont le parti Moledet a fait campagne aux élections sous le symbole du caractère hébreu "tet", pour le transfert.
Son successeur, Benny Elon, un chef colon et rabbin, a adopté une plate-forme similaire : "Seul un transfert de population peut amener la paix"

L'intensité du débat, séparation contre transfert, a diminué après 1948 ainsi que la campagne de nettoyage ethnique qui supprimait la plupart des autochtones palestiniens de l'Etat juif.

La minorité palestinienne qui est restée - un cinquième de la population, mais un groupe qui, supposait-on, serait bientôt submergé par l'immigration juive - était considérée comme un agacement, mais pas encore comme une menace.
Elle a été placée sous gouvernement militaire pendant près de deux décennies, un système conçu pour faire respecter la séparation entre les Palestiniens et les Juifs en Israël. Cette séparation - dans l'éducation, l'emploi et le logement - existe à ce jour, même si c’est dans une forme moins extrême.

Le débat séparation-transfert a été relancé principalement par la conquête israélienne de la Cisjordanie et de Gaza en 1967. Avec l'effacement de la Ligne Verte par Israël et l'érosion réussie de la distinction entre les Palestiniens en Israël et dans les territoires occupés, le problème d'une majorité palestinienne est devenu à nouveau une menace pour les sionistes.

Les débats du conseil des ministres depuis 1967 montrent le dilemme affronté par le gouvernement. Presque seul, Moshe Dayan était favorable à l'annexion des nouveaux territoires capturés et de la population palestinienne.
D'autres estimaient qu'une telle démarche serait considérée de toute évidence comme colonialiste et dégénérerait rapidement en un système d'apartheid entre les citoyens juifs et les Palestiniens non-citoyens. Dans leur esprit, la solution du mur de fer de Jabotinsky n'était plus viable.

Mais aussi, dans une ère plus saturée de médias, qui font au moins semblant de s’intéresser aux des droits de l'homme, le gouvernement ne voit aucun moyen d'expulser à grande échelle la population palestinienne et d'annexer la terre, comme Ben Gourion l’avait fait plus tôt. Peut-être aussi qu’ils ne voient aucun moyen de persuader le monde que ces expulsions pourraient être qualifiées de volontaires.

C'est pourquoi Israël a résolument refusé d'avancer ni dans cette direction, ni de mettre totalement en œuvre un programme de transfert, ni d’appliquer une séparation stricte. En revanche, il a opté pour un modèle d'apartheid qui convenait à la suggestion de Dayan d'une "annexion graduelle" des territoires occupés, qui, selon lui et à juste titre, passerait largement inaperçue aux yeux de l'Occident.

La séparation incarnée par l'apartheid sud-africain diffère de la notion de séparation de Herzl sur un point important : dans l'apartheid, l'"autre" population était un élément nécessaire de l'arrangement politique, même si elle était maltraitée.

Comme le penseur en exil palestinien Azmi Bishara l’a noté, en Afrique du Sud "la ségrégation raciale n'était pas absolue. Elle avait lieu dans un cadre d'unité politique. Le régime raciste considérait les Noirs comme faisant partie du système, un ingrédient de l'ensemble. Les racistes Blancs avaient créé une hiérarchie au sein de l'unité."

En d'autres termes, l'autonomie, ou l'unilatéralisme, implicite dans le concept de séparation de Herzl a été ignoré pendant de nombreuses années d'occupation israélienne. La main-d'œuvre palestinienne a été exploitée par Israël comme l’étaient les travailleurs noirs par l'Afrique du Sud. Ce point de vue sur les Palestiniens a été formalisé dans les accords d'Oslo qui étaient basés sur le type de séparation nécessaire à la création d’une main-d'œuvre captive.

Toutefois, la version de l'apartheid d’Yitzhak Rabin incarnée par le processus d'Oslo, et l'opposition de Binyamin Netanyahou à défendre la vision du Grand Israël de Jabotinsky ont écarté le modèle de transfert par la séparation de Herzl. C’est en grande partie pourquoi chaque courant politique a intégré la récente mais plus puissante tendance vers une "séparation unilatérale".

Comme il fallait s'y attendre, la politique de "séparation unilatérale" qui est apparue chez les Sionistes Travaillistes, a été principalement préconisée par Ehud Barak. Toutefois, elle a été rapidement adoptée par de nombreux membres du Likoud.

En fin de compte, son succès découle de la conversion à sa cause du principal avocat du Grand Israël, Ariel Sharon. Il a réalisé les principales manifestations de la séparation unilatérale, le Mur de Cisjordanie et le désengagement de Gaza, tout en cassant la Droite israélienne pour créer un nouveau parti consensuel, Kadima.

Dans le nouveau consensus, le transfert des Palestiniens pourrait être atteint grâce à une séparation imposée et absolue - tout comme Herzl l’avait espéré. Après le désengagement de Gaza, l'étape suivante a été promue par le successeur de Sharon, Ehud Olmert.
Son plan de convergence, des retraits limités de la Cisjordanie où la plupart des colons resteraient en place, a été abandonné, mais l'infrastructure - le mur de séparation - continue d'être construit.

Comment les sionistes modernes convertiront-ils la séparation unilatérale en transfert? Comment la vision initiale du nettoyage ethnique de Herzl, appliquée par une stricte séparation ethnique, sera-elle réalisée dans le monde d'aujourd'hui?

L'actuel siège de Gaza offre le modèle. Après le désengagement, Israël a été en mesure de couper, quand il le voulait, les Gazaouis de l’accès à l'aide, à la nourriture, au carburant et aux services humanitaires. La normalité a été érodée par bangs sonores, des attaques aériennes aléatoires des Israéliens, et des invasions répétées à petite échelle qui ont infligé un grand nombre de victimes, notamment parmi les civils.

L'emprisonnement de Gaza a cessé d'être une métaphore et est devenu une réalité quotidienne. En fait, la situation de Gaza est bien pire qu’un emprisonnement: les prisonniers, même de guerre, s’attendent à ce que leur humanité soit respectée et qu’ils soient correctement protégés, soignés, nourris et vêtus. Gaza ne peuvent plus compter sur ces choses essentielles de la vie.

Le but ultime de cette forme extrême de séparation est manifestement clair : le transfert. En privant les Palestiniens des conditions de base d'une vie normale, on suppose qu'ils finiront par choisir de partir : ce qui pourra encore une fois être vendu au monde comme un exode volontaire.

Et si les Palestiniens choisissent d'abandonner leur patrie, alors dans la pensée sioniste, ils perdront leur droit à celle-ci - tout comme les générations précédentes de sionistes estiment que les réfugiés palestiniens l’on soi-disant fait en fuyant pendant les guerres de 1948 et 1967.

Est-ce que processus de transfert est inévitable ? Je ne le crois pas. Le succès d'une politique moderne de "transfert par le biais de séparation" a de graves limites.

Tout d'abord, cela dépend de la poursuite de l'hégémonie mondiale des États-Unis et de son soutien aveugle à Israël. Ce soutien est susceptible d'être compromis par les actuelles mésaventures des Américains au Moyen-Orient, et un passage progressif vers un équilibre du pouvoir à la Chine, la Russie et à l'Inde.

Deuxièmement, cela exige une vision mondiale Sioniste qui s'écarte fortement non seulement du droit international, mais aussi des valeurs défendues par la plupart des sociétés et des idéologies. La nature des ambitions sionistes est susceptible d'être plus difficile à dissimuler, comme en témoigne la vague de sondages d'opinion montrant que les opinions publiques occidentales, si ce n'est leurs gouvernements, pensent qu’Israël est l’une des plus grandes menaces pour l'ordre mondial.

Et troisièmement, cela suppose que les Palestiniens resteront passifs au cours de leur lente éradication. La preuve historique montre plus certainement qu'ils ne le seront pas.

Source : http://www.globalresearch.ca/

Traduction : MG pour ISM

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