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Turquie -

La Turquie sur les traces de l’empire ottoman

Par

Bulletin COMAGUER n° 232 - semaine 37/2011

Dans un jeu de stratégie, il suffit du mouvement d’un seul pion à un moment donné pour que se dévoile en un instant une stratégie murie de longue date. Il en va ainsi du voyage qu’entreprend le premier ministre turc Erdogan dans trois pays d’Afrique du Nord : Egypte, Tunisie et Libye, en compagnie d’une forte délégation d’hommes d’affaires.

La Turquie sur les traces de l’empire ottoman

Affiche de R.T. Erdogan au Caire

Explications :

- Bien que son parti l’AKP ait subi une certaine érosion en termes de sièges lors des élections parlementaires du printemps 2011, il est resté majoritaire et son gouvernement est assuré d’une certaine pérennité.

- L’AKP est un parti islamiste présenté comme « modéré » bien que ses performances en matière de respect des libertés politiques et syndicales soient modestes.

- Depuis l’agression de Gaza par Israël (Décembre 2008 –Janvier 2009), Erdogan a pris une position très critique vis-à-vis de l’Etat sioniste, prenant ainsi publiquement ses distances avec un Etat avec lequel la Turquie entretenait d’étroites relations militaires et économiques depuis 1948. Chacun se souvient du violent incident diplomatique public entre Erdogan et Peres au Forum de Davos, fin janvier 2009. Cette attitude a valu à Erdogan et à l’AKP un regain de popularité en Turquie et a mis par contraste en évidence la passivité concrète des régimes arabes toujours prêts à prodiguer quelques bonnes paroles au peuple palestinien et à faire un chèque à l’Autorité Palestinienne pour lui permettre de payer ses fonctionnaires et tout particulièrement ses policiers, mais rien de plus.

- Cette position offensive s’est confirmée par le soutien du gouvernement turc à la première flottille de la paix en 2010. La droite israélienne au pouvoir, en surjouant le rôle de la brute, est tombée dans le piège que la Turquie lui tendait et a ainsi installé la Turquie dans la position de meilleur défenseur des Palestiniens et de leader régional de l’antisionisme.

- Les manipulations diplomatiques minables qui ont suivi : enterrement du rapport Goldstone, rapport Palmer, ont achevé d’installer la Turquie dans cette position nouvelle de critique d'Israël au moment même où le régime égyptien, traditionnel leader du monde arabe, est en crise et ne peut plus assurer le rôle de protecteur de l’Etat sioniste qui lui avait été assigné par les Etats-Unis.

- Arrive le « printemps arabe » et la réorganisation politique régionale concoctée par l’AFRICOM. Il saute aux yeux qu’aucune équipe nouvelle, mise ou à mettre en place dans les pays de la région, ne peut reprendre à son compte la position de Moubarak (et de Sadat avant lui), consistant à laisser les mains libres à Israël quoi qu’il fasse.

- L’heure de la Turquie a donc sonné : présentée à l’envi par les milieux d’affaires occidentaux comme une nouvelle puissance émergente, elle peut être utilisée dans les nouveaux pays réorganisés (Egypte, Tunisie et, qui sait, Libye à condition toutefois que ce pays ne soit pas voué à devenir un nouvel Afghanistan destiné à pourrir tout l’environnement africain en devenant le QG d’AFRICOM) pour remplacer les entreprises « émergentes ennemies » (chinoises, russes, brésiliennes…).

- La Turquie, qui reste un des piliers de l’OTAN, ne présente pour Washington aucun risque politique ; elle est le seul pays de la région assez puissant pour faire contrepoids à la puissance iranienne et pour défendre l’Islam majoritaire contre l’Islam chiite minoritaire. Elle n’est certainement pas, malgré les récentes gesticulations guerrières de part et d’autre, prête à en découdre avec Israël : pour preuve le fait qu’elle a concouru volontairement, par son abstention, à l’échec de la deuxième flottille de la paix.

- Cette politique turque correspond à la nouvelle politique étasunienne dans la région, Washington ayant compris qu’enfermé dans son rôle de brute raciste, Israël ne peut pas être le point d’appui de sa nouvelle politique de contrôle de l’Afrique, ce qui n’empêche pas d’utiliser le savoir-faire sioniste pour déstabiliser un jour le Soudan, un autre la Libye, etc.

- Le « spectacle de la crise » israélo-turque va continuer à nous être présenté, mais il est peu probable qu’il aille au delà de la grande scène du « retenez-moi, je vais me mettre en colère », car Washington garde le contrôle sur les armées des deux Etats et sur les affaires sérieuses, les relations entre les deux Etats restent bonnes : souvenons-nous que l’an dernier, peu après l’attaque du NAVI MARMARA, la Turquie « très en colère contre Israël » n’a pas utilisé son droit de véto pour empêcher l’entrée d’Israël dans l’OCDE, et n’oublions pas que les fonds sous-marins de la Méditerranée Orientale recèlent de vastes réserves de gaz naturel que les deux Etats, pauvres en ressources énergétiques, convoitent et sont prêts à se partager, même s’ils doivent léser les intérêts des Etats voisins : Liban, Chypre et Syrie.

Source : Comaguer

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