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Palestine - 4 juin 2009
Par Youssef Girard
«Nous voulions favoriser ceux qui avaient été humiliés sur la terre ; nous voulions en faire des chefs, des héritiers.» Coran 28 - 5
La solidarité des peuples opprimés en lutte pour leur libération nationale est un sentiment qui se développe quasiment instinctivement. Les dévastations, la mort, les pillages, l’aliénation et l’oppression, venant d’un même ennemi, créent des solidarités actives entre les peuples opprimés. De fait, chaque recul de la domination impérialiste, en un point déterminé de la planète, renforce la volonté de libération nationale de l’ensemble des peuples opprimés.
L’entrée en lutte ou la libération d’un territoire, l’entrée en lutte ou la libération d’un nouveau peuple sont ressenties par l’ensemble des peuples opprimés comme une invitation au renforcement de la résistance, un encouragement à la révolte et une promesse de libération future.
Cette unité de lutte contre le colonialisme et l’impérialisme fut célébrée au cours de différents congrès panafricains, panasiatiques, panarabes ou panislamique, au congrès de Bandoeng en 1955 – donnant naissance au mouvement des non-alignés - ou lors de la fondation de la Conférence Internationale des Peuples en Lutte - appelée « Tricontinentale » - en 1966 à La Havane.
L’internationalisation de la contradiction entre colonisateur et colonisé fut stimulée par ces rencontres inter-colonisés. Celles-ci permirent d’affirmer sur la scène internationale, et de manière commune, que la révolution contre le colonialisme et l’impérialisme est un droit fondamental appartenant à l’ensemble les peuples opprimés. A travers ces rencontres, il s’agissait de définir une politique militaire, culturelle et économique commune afin d’affronter les puissances impérialistes occidentales et d’affirmer une identité culturelle et politique spécifique. Ainsi, ces rencontres donnèrent une expression concrète à la lutte entre l’Occident impérialiste et l’ensemble des peuples subissant sa domination.
L’impérialisme étant un phénomène global, seul une opposition globale peut le combattre même si cette lutte s’incarne en des points spécifiques. Partant de ce constat, dans son « message à la Tricontinentale », Che Guevara expliquait : « Il faut tenir compte du fait que l’impérialisme est un système mondial, stade suprême du capitalisme, et qu’il faut le battre dans un grand affrontement mondial. Le but stratégique de cette lutte doit être la destruction de l’impérialisme. Le rôle qui nous revient à nous, exploités et sous-développés du monde, c’est d’éliminer les bases de subsistance de l’impérialisme : nos pays opprimés, d’où ils tirent des capitaux, des matières premières, des techniciens et des ouvriers à bon marché et où ils exportent de nouveaux capitaux (des instruments de domination) des armes et toutes sortes d’articles, nous soumettant à une dépendance absolue. L’élément fondamental de ce but stratégique sera alors la libération réelle des peuples. » [1]
Suivant Che Guevara, les organisateurs de la Tricontinentale cherchèrent à coordonner les luttes de libération nationale afin d’obliger les forces impérialistes à se disperser ; permettant ainsi d’assurer la victoire des peuples des Trois Continents.
Toutefois, la libération globale de l’impérialisme ne pouvant se concrétiser que dans les luttes de libération nationale spécifiques de chaque peuple, les regards se tournent successivement vers les différents territoires en lutte. En conséquence, la lutte anti-impérialiste internationale dépend en dernier ressort de l'issue des luttes révolutionnaires spécifiques menées par chaque peuple des Trois Continents.
Au cours des luttes de libération nationale contre l’oppresseur impérialiste, les peuples opprimés ont découvert la solidarité concrète, scellé par le feu et par le sang, qui les unit. L’impérialisme étant une chaine planétaire asservissant l’ensemble des peuples des Trois Continents, le brisement d’un seul maillon, de cette grande chaine, est perçu comme une étape dans la destruction définitive des fers asservissant les peuples opprimés.
Les luttes anti-impérialistes des peuples d'Asie, d'Afrique et d'Amérique du Sud frappent les bases de la domination de l'impérialisme, du colonialisme et du néo-colonialisme sur ces Trois Continents. Chaque victoire contre l’impérialisme, en un point géographique particulier de la planète, est vécue comme la victoire de l’ensemble des peuples opprimés ; et chaque territoire en lutte ou fraîchement libéré est, pendant un certain temps, promu au rang de « territoire-guide » [2], pour reprendre l’expression de Frantz Fanon.
Historiquement plusieurs nations ou territoires ont joué ce rôle de « territoire-guide » du fait de l’importance des luttes qui s’y déroulait et des victoires qui y furent remportées : la région du Rif au Maroc durant la résistance l’Abd el-Krim, entre 1921 et 1926 ; l’Egypte après la révolution du 23 juillet 1952 ; le Vietnam à la suite de la victoire de Dien Bien Phu, en mai 1954 ; l’Algérie au cours sa révolution – lutte de libération nationale, entre 1954 et 1962 ; Cuba après la victoire de la révolution, en 1959 ; l’Iran suite à la révolution de 1979 ; ou encore l’Afrique du Sud dans sa lutte contre l’apartheid. A chaque moment particulier, ces territoires, et leurs peuples, sont devenus le point focal concentrant les espoirs de libération des peuples opprimés.
Reconnaissant cette fonction de « territoire-guide » au Vietnam en lutte contre l’impérialisme états-unien, en 1967, Che Guevara appelait à « créer le Deuxième ou le Troisième Vietnam du monde » et affirmait que « les peuples de Trois Continents observent et apprennent leur leçon au Vietnam ». Guevara définissait le Vietnam comme « cette nation qui incarne les aspirations, les espérances de victoire de tout un monde oublié. » [3] Ainsi, la lutte du peuple vietnamien dépassait le cadre de ses frontières pour se muer en métaphore de la lutte immémoriale et planétaire entre le dominant et le dominé, entre l’oppresseur et l’opprimé, entre l’exploiteur et l’exploité, entre les moustakabirioun et les moustadh’afoun.
Point névralgique de la lutte contre l’impérialisme, la Palestine est aujourd’hui le « territoire-guide » vers lequel des millions d’opprimés à travers le monde tournent leur visage. Elle est le lieu où se joue une lutte décisive contre ce maillon fort de la grande chaine impérialiste qu’est l’Entité sioniste. Par sa résistance héroïque contre une puissance coloniale suréquipée, la Palestine martyre est devenu une boussole, un modèle, un guide pour l’ensemble peuples opprimés qui luttent pour leur libération c’est-à-dire la reconquête du pouvoir de décision dans tous les domaines de la vie nationale, prélude à la reconquête de leur identité.
La Palestine occupe une place centrale dans la résistance globale contre l’impérialisme et tout succès de la résistance palestinienne et arabe est une victoire pour l’ensemble des peuples opprimés. Ainsi, Ahmed Ben Bella expliquait : « Elle [la résistance palestinienne] a réellement fertilisé tous les mouvements révolutionnaires, elle a irrigué toutes les révolutions, qu'elles soient rouges, blanches, noires ou jaunes, de l'Amérique dite latine au Japon en passant par l'Europe. La révolution palestinienne a joué un rôle historique important en faveur de tous les hommes libres dans le monde. Je souhaite vivement que ce rôle se poursuive parce qu'il sert non seulement la cause arabe et islamique, mais aussi celle du tiers monde et de tous ceux qui luttent pour l'avènement d'un monde meilleur. »
Ahmed Ben Bella ajoutait : « A mon avis, la révolution palestinienne, de par sa nature, n'est pas une révolution locale, mais une révolution mondiale. Si une brèche importante a été ouverte dans le système mondial grâce à l'indépendance de l'Algérie, la victoire de la révolution palestinienne aura une signification plus importante encore. C'est la raison pour laquelle ce système s'attachera à faire avorter à tout prix cette révolution. Son succès, en effet, remettrait en cause les intérêts de ce système qui sont immenses dans cette région. D'abord ses intérêts matériels, dont le pétrole et le gaz, mais également stratégiques dans cette région charnière du monde. A travers la lutte de la Palestine, dans laquelle sont impliqués tous les Arabes, les musulmans, les pays du tiers monde et même les forces saines qui émergent en Europe, va se jouer une partie capitale pour l'avenir du monde. » [4]
Comme l’explique Ahmed Ben Bella, cette centralité de la Palestine est encore plus importante dans le monde arabo-musulman dominé par l’impérialisme occidental puisqu’elle se trouve en son cœur. Expliquant en quoi la domination de la Palestine était le point focale de la lutte contre l’hégémonie occidentale sur le monde arabo-islamique, Mounir Chafiq écrivait : « La présence du sionisme sur nos terres est le prototype de ce conflit aux dimensions militaires, politiques et économiques, certes, mais culturelles, spirituelles et intellectuelles aussi. La cause Palestinienne, doit être au centre de toute stratégie libératrice. » [5] La centralité de la Palestine, marque la centralité des luttes de libération nationale dans la vie politique des peuples arabo-musulmans dominés et dépendants.
Au-delà des affinités culturelles qui unissent les peuples arabes et musulmans au peuple palestinien, l’indentification à la résistance palestinienne, renvoi à l’inachèvement des luttes de libération nationale et au processus de recolonisation directe à l’œuvre dans certains pays comme l’Irak ou l’Afghanistan. Si dans ce dernier cas l’ennemi colonisateur est facilement identifiable, dans le cas des pays néo-colonisés la mythification des fausses indépendances brouille les cartes. Malgré l’illusion de ces demi-indépendances, les peuples arabo-musulmans vivent la réalité de la dépendance et la domination effective de leur nation ce qui renforce l’identification à la lutte de libération nationale palestinienne. La Palestine devient un « symbole en temps de détresse » car les espoirs de libération totale n’ont pas véritablement aboutis.
Il en va de même pour la communauté arabo-musulmane en France qui malgré l’« égalité » toute théorique affichée par la République, vit une domination néo-coloniale réelle dans une société ethniquement hiérarchisée. Contre cette domination concrète vécue quotidiennement par un groupe social, l’identification à la lutte de libération nationale du peuple palestinien devient un facteur de cohésion et de résistance. La Palestine devient le symbole de la lutte contre l’oppression vécue quotidiennement ici, permettant ainsi la transformation de la communauté arabo-musulmane de groupe social « en soi » à un groupe « pour soi ».
Tout symbole s’accomplit comme « signe de reconnaissance » mais les « symboles en temps de détresse » opèrent tout autant comme « signe de méconnaissance » de la réalité que comme « signe de reconnaissance » entre les humains de même appartenance. Les symboles choisis par les peuples opprimés tendent à exprimer leur refus de la domination qu’ils subissent, et leur volonté d’assurer leur propre libération, même s’ils ne peuvent pas l’exprimer directement. La chape de plomb imposée par les nouveaux petits Pharaons soumis à l’impérialisme contraint les peuples asservis à transférer leur propre volonté de libération sur l’action de la résistance du peuple palestinien. Ainsi, en ces « temps de détresse » pour les dominés, la Palestine reste le symbole de la résistance continue de l’ensemble des peuples opprimés.
Youssef Girard
Notes de lecture :
[1] Ernesto « Che » Guevara, « Message à la tricontinentale », 1967.
[2] Fanon Frantz, La guerre d’Algérie et la libération de l’homme , El Moudjahid, n° 31, 1ier novembre 1958, in. Pour une révolution africaine, Ecrits politiques, Paris, Ed. La Découverte, 2001, page 168.
[3] Che Guevara, Message à la tricontinentale, art. cit.
[4] Ben Bella Ahmed, Itinéraires, Alger, Ed. Maintenant, 1990, page 246.
[5] Chafik Mounir, L’islam en Lutte pour la civilisation, Beyrouth, Ed. al-Bouraq, 1992, page 3.
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