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ISM France - Archives 2001-2021

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Salfit -

Retenir ses larmes

Par

Hanna est une volontaire de l'IWPS. IWPS-Palestine est un groupe international de femmes basé à Hares (village du Gouvernorat de Salfit en Cisjordanie occupée) : elles accompagnent des civils palestiniens, documentent les violations des droits humains et interviennent de manière non-violente, soutiennent les actions de résistance non-violente contre l' occupation militaire brutale et illégale et la construction du Mur.

Je dirais que je suis la personne la plus équilibrée que je connaisse, j’ai tendance à garder mes émotions à distance dans les situations où je suis impliquée, au moins sur le moment.
Mais cette semaine m’a rendu les choses plus difficiles.
Cette semaine a vu des tragédies, des frustrations et des débats sur les tragédies et les frustrations passées.

Retenir ses larmes


Marche en commemoration du massacre de Deir Yassin
A gauche, la femme qui regarde son ancien village à travers la barrière, esy une survivante du massacre. A ses côtés, sa fille qui est née plus tard.
Mordecai Vanunu, une femme Deir Yassin remembered, et Eitan de Zochrot portent la banderole.


Nous ne sommes que deux dans la maison de l’IWPS maintenant, et le niveau de tension est élevé et aucun de nous n’a réellement le choix de ne pas participer

Toute cette semaine je n’ai fait que retenir mes larmes, de chagrin et de colère, et toute cette semaine je me suis demandé comment les Palestiniens parviennent à continuer de vivre de cette manière, tragédie sur tragédie, et de rester calmes, unis, et non violents par dessus tout. Où va donc cette colère ?


La semaine dernière j’ai discuté avec Abu Rabia (notre maire) et là, pour la première fois, j’ai entendu toute l’histoire de son frère Issa, resté paralysé après avoir essuyé une fusillade.

Pour la première fois, on m’a raconté ce système qui consiste à rassembler les gens pour les emmener à l’abri quand l’armée arrive, et malgré ça, Um Rabia enceinte de huit mois, a perdu son bébé.

Pour la première fois on m’a dit comment Abu Rabia avait dormi sur le toit la nuit qui avait précédé les tirs contre Issa, et qu’un autre de ses frères l’avait appelé pour lui dire : "Ne t’assieds pas, les soldats ont leurs fusils pointés sur toi".

Pour la première fois, on m’a raconté comment, le matin, Abu Radia était descendu du toit de la maison et était parti travailler à Salfit, pour juste quelques heures plus tard recevoir un coup de fil lui disant qu’on avait tiré sur son frère et que les soldats ne laissaient personne (et pas non plus les voitures et les ambulances) s’approcher de lui.

Pour la première fois, on m’a expliqué qu’Abu Rabia est persuadé que les balles lui étaient destinées.

Les soldats se sont dispersés dans les oliveraies et Issa essayait d’aider les gamins à partir de la rue pour qu’il ne leur arrive rien.

Soudain deux soldats ont débouché à pied d’une autre rue et on tiré directement sur Issa. Il est tombé, et les soldats l’ont laissé pour mort, sans permettre à quiconque d’approcher.

Il a survécu, mais il reste paralysé à partir de la taille, et ne peut continuer son métier d’entraîneur sportif.

Il se rappelle n’être allé chez le docteur qu’une fois ou deux dans sa vie avant sa blessure et maintenant il y va plusieurs fois par mois.
Sa femme est transformée en infirmière, son fils né quelques mois avant (ses blessures) a aujourd’hui quatre ans et ne se souvient pas ni ne se souviendra jamais avoir vu son père marcher.


J’étais assise sur le canapé d’Abu Rabia et je l’écoutais parler incapable d’ouvrir la bouche de peur que mes larmes ne se mettent à couler.

Je voulais leur demander comment ils parvenaient à continuer à vivre cette vie. Je n’ai pas eu besoin. La phrase qui est sortie tout de suite après de sa bouche a été : "Quand je repense à cette époque, je ne sais pas comment nous avons fait pour continuer à vivre et à rester non violents". Et pourtant, ils continuent.


Le jour suivant, je suis retournée voir Abu et Um Rabia chez eux et je n’ai trouvé qu’une femme en pleurs demandant à Abu Rabia de l’aider.
Son mari était mort depuis des années, et le plus âgé de ses deux fils (qui était handicapé mental) a été tué par un soldat israélien 2002.

La semaine dernière, le jour où j’étais allée la voir chez Abu Rabia, le plus jeune de ses fils, (lui aussi handicapé mental) était parti sur la tombe de son frère aîné.

Au moment où il avait posé une fleur sur la tombe, une balle dum-dum probablement laissée par les soldats (intentionnellement ou non) a explosé et lui a traversé la main et la jambe.

Il a été transporté d’urgence à l’hôpital de Qalqilya où les médecins ont entamé des opérations qui vont coûter beaucoup plus d’argent que cette femme n’en a.

Elle est venue demander de l’aide à Abu Rabia parce qu’il est en contact avec l’Autorité Palestinienne.


Quelques jours plus tard, nous arrivons à la pire tragédie de la semaine.

J’étais devant notre maison, je disais au-revoir à Issa qui allait partir pour son rendez-vous à l’hôpital et essayait de comprendre quand une femme m’a pris à part et m’a dit qu’un membre de la famille venait d’être arrêté à l’entrée de Hares.

Alors Abu Rabia a appelé : "Ils ont tiré sur des gens à Deir Ballut" a-t-il dit.

Deir Ballut est un très beau village de la région de Salfit, bien connu pour ses cultures diversifiées et ses gens formidables. Le Mur est en cours de construction au travers de leur terre, et ils ont manifesté à plusieurs reprises contre le Mur, mais ce matin-là il n’y avait peu eu de manifestation.

"Y-a-t-il des tués ?", ai-je demandé ?

Via les téléphones portables et une visite, nous avons commencé à reconstituer l’histoire, au moins du point de vue des témoins palestiniens :
apparemment plusieurs familles (appartenant toutes à la même famille élargie) travaillaient sur leur terre.

Cinq des hommes marchaient à quelques mètres de là où se trouvaient les familles et ils ont vu les bulldozers qui rasaient leur terre plus bas, comme tous les jours. Les hommes ont crié aux gardes qui étaient sur une colline à 300 m de là quelque chose comme : «C’est notre terre, pourquoi la détruisez-vous ?».

Les gardes de la sécurité privée ont ouvert le feu, et quatre des cinq hommes ont été atteints, à la poitrine, à l’épaule, dans les fesses, et à la jambe.

Ils ont entre 24 à 58 ans. Tout le monde jure que personne n’a jeté de pierres (en tout cas pas de pierres qui aurait pu toucher une cible aussi éloignée) et les gens ont été complètement choqués que ces gardes, qu’ils avaient presque tous connus les jours précédents, aient tiré droit sur eux.

Il n’y avait sur les lieux ni soldats ni police. (Deux jours plus tard, au moment où j’écris le village est en train de manifester et pour ce que j’en sais, les quatre hommes sont toujours vivants, deux sont dans des hôpitaux en Israël, et deux dans des hôpitaux à Ramallah. (Le fait que deux blessés aient été transportés en Israël signifie que les autorités israéliennes savent que quelque chose s’est mal passé)

Nous nous montrons sur les lieux et y trouvons des vieilles femmes qui gémissent, d’autres qui tentent de les réconforter, (ou à certains moments, les obligent à s’arrêter – comme si elles ne voulaient pas laisser paraître la moindre faiblesse devant les soldats qui étaient maintenant arrivés).

Certaines des femmes se tenaient sur les rochers en bas, ou étaient restées depuis les incidents quelques heures plus tôt, mais les soldats empêchaient tous les autres d’aller les rejoindre.

Ils jouaient, et disaient aux gens d’aller d’un rocher à l’autre, pour s’éloigner de 5 mètres, de 10 mètres, et ainsi de suite.

Si quelqu’un voulait aller en bas, le soldat responsable disait : «si vous obtenez qu’une personne s’en aille, vous pourrez descendre».

Une des femmes a dit : «Qu’est-ce que vous faites ici ? C’est notre terre».

Un des soldats, qui semblait bien s’amuser et se marrait vraiment quand les femmes pleuraient, a répondu : « Non c’est notre terre. Le gouvernement dit que c’est notre terre et c’est notre terre»

Le soldat responsable a dit : "Je fais ce que le gouvernement me dit de faire".

«Vous ne pouvez pas penser par vous-même» ai-je répondu

'Quand j’enlèverai cet uniforme et que je poserai ce fusil, je penserai par moi-même", a-t-il répondu, "Pas maintenant"

«Que direz-vous à vos femmes et à vos enfants quand vous rentrerez chez vous ?» a crié une femme désespérée.

Une autre a crié : "Si nos fils meurent, ils seront des martyrs, ils iront au paradis, si vous mourez vous irez en enfer".

La plupart des soldats ne parlent pas arabe, et la plupart des villageois ne parlent pas hébreu, si bien que quand les soldats ont voulu communiquer avec les gens ils ont fait venir un homme qui parle hébreu et lui demandent de traduire pour les autres.
Cet homme, le frère d’un de ceux qui avaient été touchés était lui-même couvert du sang de son frère qu’il avait transporté jusqu’à l’ambulance.

Il paraissait sonné et crevé et quand les soldats lui ont dit : «Si tu tiens à ces gens, dis leur de partir» il a fait ce qu’on lui disait.

Quand finalement j’ai réussi à aller sur la scène des tirs, j’ai trouvé des femmes qui priaient, qui embrassaient le sol, qui étaient assises et pleuraient.

D’abord je n’ai pas vu le sang.
Alors Anna a désigné un rocher puis un autre et soudain partout où je tournais le regard je voyais des gouttes de sang, des taches de sang sur les foulards et les vestes que les femmes serraient.
J’ai commencé à me sentir mal, et à vouloir désespérément savoir où les gardes de sécurité étaient passés maintenant, ce qu’ils pensaient, ce qu’ils avaient pensé quand ils avaient ouvert le feu sur ce petit groupe d’hommes palestiniens sans armes.


Quelques minutes plus tard la presse est apparue – des journalistes de Reuters, d’AP et de la presse française.
Tous les journalistes étaient palestiniens et ils se sont faits arrêtés là, quelques instants, au sommet de la colline par des soldats qui leur disaient : "Vous êtes avant tout des Palestiniens, ensuite des journalistes".

On leur a finalement permis de redescendre, et les femmes ont, une fois de plus, ramassé les vêtements trempés de sang, pour les photographes. Nous sommes redescendus au village, les gens attendaient toujours des nouvelles des membres de leurs familles et Anna a promis qu’elle reviendrait plus tard dormir cette nuit-là au village.

S’il y a une histoire positive dont je puisse parler cette semaine, il y en a une, aigre-douce.

Elle est positive dans ses implications actuelles, mais c’est la commémoration d’une tragédie : le massacre de Deir Yassin.

Le 9 avril 1948 deux groupes distincts de terroristes juifs et sionistes faisaient irruption dans les maisons palestiniennes, en pleine nuit, et tuaient entre 110 et 140 personnes.

Ce ne fut pas le seul massacre de l’époque, et probablement pas non plus le plus important, mais c’est celui dont ce peuple a beaucoup entendu parler, celui qui a fait que plusieurs milliers de Palestiniens terrorisés ont fui leurs maisons, sans imaginer que 57 ans plus tard, ils n’auraient toujours pas le droit d’y revenir.


Zochrot, l’une de mes organisations israéliennes préférées, a décidé ce voyage à Deir Yassin avec un groupe de réfugiés qui s’appelle Deir Yassin Remembered (N’oublions pas Deir Yassin).
Un quartier religieux moderne, Har Nof, a volé la quasi totalité de la terre du village et le reste des bâtiments est partie de l’hôpital de la région.

Nous sommes allés sur cette terre, avec en tête de la manifestation des survivants, les organisateurs du groupe initiateur, et Mordecai Vanunu (l’israélien qui a dévoilé le programme d’armement nucléaire d’Israël et a passé presque vingt ans en prison).

Nous portions des fleurs blanches, chacune associée à l’un des 93 noms de victimes connues. Les noms sont inscrits en arabe et en hébreu sur des pancartes.

D’abord, j’ai pensé qu’il n’y avait que quelques palestiniens dans la foule mais en entendant parler l’arabe autour de moi, j’ai réalisé que je n’avais compté que les têtes avec foulard. La foule était composée d’un mélange de citoyens israéliens et internationaux, et les Israéliens étaient composés d’un mélange de Juifs et de Palestiniens.

De jeunes enfants juifs orthodoxes nous observaient de leur cour de récréation quand nous nous sommes approchés de la zone qui nous était réservée. Les discours ont commencé avec des chansons - dont pour la plupart avaient pour paroles des poèmes de Mahmoud Darwish.

Les traductions étaient continues, d’arabe en hébreu et vice versa pour les manifestants, et d’hébreu en anglais pour notre petit groupe qui nous tenions en arrière.

Une survivante du massacre était présente, lle a raconté des souvenirs, des récits personnels sur le nombre de tués. Elle a évoqué les bonnes relations que Palestiniens et Juifs entretenaient avant, comment ils avaient été amis, comment elle ne sait pas ce que les Palestiniens ont bien pu faire aux Juifs pour qu’ils aient fait ça à sa famille.

Elle a parlé des femmes enceintes éventrées et tuées ; d’hommes âgés éjectés des toits des maisons ; sept jeunes garçons qui dormaient quand ils ont été encerclés, sortis de leur lit, attachés, et tués : des membres de sa famille (elle-même comprise) auxquels on avait donné le choix entre être fusillés ou être poignardés, et n’ont été sauvés qu’à la dernière minute par un soldat qui avait dit : "Ne les tuez pas, laissez-les partir".

Voilà comment elle avait pu se sauver avec les autres survivants du village qui furent chargés sur un camion, et embarqués loin de leur village où ils vivaient depuis des siècles.
Encore maintenant ils n’ont pas le droit de revenir.

Et quand nous regardons en bas ce qui fut Deir Yassin, l’hôpital moderne d’aujourd’hui est enfermé derrière un mur que nous ne pouvons pas franchir.

Les survivants ont chanté et les paroles disaient à peu près : "ils élèvent une montagne entre nous… Je souhaite qu’elle devienne sable et disparaisse".

Entre qui ? me suis-je demandé, Juifs et Palestiniens ? Palestiniens et membres de leur famille ? Les deux ?

"Nous avons besoin que tout le monde, dans le monde entier, sache ce qui est arrivé à Deir Yassin" a-t-elle conclu, et elle a ajouté qu’elle avait gardé des articles de journaux de cette époque sur les membres de sa famille qui ont été tués.

Elle l’a dit en insistant, pour essayer de convaincre un monde qui a délibérément commémoré certains massacres et en a délibérément oublié d’autres, que nous ne pouvons absolument pas oublier.
Que le chemin de la paix, ce n’est pas de faire oublier le passé et on continue, mais de reconnaître le passé et de continuer.

Comme pour faire exprès de la blesser, le groupe de gamins israéliens de Har Nof, éduqués (dans ce sens) par des adultes, se sont mis à déchirer les brochures qui disaient "Rappelez-vous Deir Yassin".

J’ai voulu prendre une photo et un mome a dit ; "Vous allez la mettre dans les journaux ?"

Il a alors caché son visage derrière une brochure déchirée, m’a fait un doigt d’honneur et m’a dit : "Mettez ça dans le journal" (elle n’est pas dans le journal, mais on peut la voir avec mes autres photos en ligne).

J’étais triste de voir la réaction de ce garçon, de les voir rire de la douleur des autres, de les voir nier la plus grande catastrophe qui soit jamais arrivée au peuple palestinien

Mais je me dis aussi que c’est bien qu’ils aient vu ça, bien qu’ils aient vu des Palestiniens originaires de l’endroit où eux vivent maintenant, et que certains de leurs grands parents ont chassés de leur terre il n’y a pas si longtemps.

Aussi déprimante et écoeurante que soit la réaction de ces gamins, le fait que tant de juifs israéliens soient ici pour se rappeler et reconnaître l’histoire sordide du sionisme, était tout autant incroyable.

Avant tout, cette tragédie doit être rendue publique, et traitée avec justice.

Et si un peuple doit reconnaître l’importance de cette tragédie-là, c’est bien nous, les Juifs.

Source : www.palsolidarity.org

Traduction : CS pour ISM

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