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Palestine - 14 avril 2004
Par Ali Abunimah
Ali Abunimah est co-fondateur de l'Intifada Electronique.
La réunion du 14 avril entre le Président Bush et le Premier ministre israélien Ariel Sharon à Washington a fait paniquer les leaders Palestiniens.
Mais cette réponse traduit leur désespoir et leur égoïsme, plutôt qu'une véritable préocupation quant au sort du peuple palestinien et de sa terre ou encore parceque les résultats de la réunion constituent un nouveau revers quant aux droits des Palestiniens.
Quelques heures avant de quitter Israël, Sharon avait annoncé que de grandes colonies israéliennes seraient pour toujours maintenues en Cisjordanie . Faisant référence à la plus grande des colonies, à l'est de Jérusalem occupée, Sharon a dit : "Maalé Adumim continuera à faire partie de l'Etat d'Israël, pour toujours et à jamais".
Sharon, qui s'est exprimé lors d'une cérémonie de Pessah (ndt : Pâques juive) à Maalé Adumim même, a listé les autres colonies qu'il entend garder, et comprenant le grand bloc de Gush Etzion au sud de Jérusalem, Givat Zeev, Ariel et Kiryat Arba.
Lorsqu'il est arrivé à Washington, Sharon a bénéficié de deux assurances faites en public, celles qu'il voulait vraiment de Bush comme prix de son annonce du désengagement de Gaza. Lors de la conférence de presse commune faisant suite à leur réunion, Bush a dit que les réfugiés palestiniens devront être réinstallés au sein d'un Etat palestinien, et non en Israël.
Sharon voulait une telle déclaration, portant sur l'opposition américaine quant aux droits des réfugiés Palestiniens d'exercer leur droit de retour dans les foyers dont ils ont été expulsés ou qu'ils ont fui. Bush a également dit que tout accord final de paix devra prendre en compte "les réalités de fait sur le terrain et dans la région, qui ont grandement changé". C'était un signe d'assentiment quant à la demande de Sharon de voir Israël pouvoir être autorisé à garder ses grandes colonies illégales dans la Cisjordanie occupée.
Avant la réunion Bush-Sharon, les leaders palestiniens étaient déjà hystériques à l'idée de telles assurances américaines, dont la presse israélienne avait largement fait écho.
Le Ministre palestinien en charge des négociations, Saeb Erekat, avait déclaré que "le maintien de six blocs de colonies en Cisjordanie est un moyen de fermer toutes les portes d'un accord de paix, et sa destruction".
Le Premier ministre de l'Autorité palestinienne, Ahmad Qoreï, n'avait pas été moins virulent et menaçant : "toute garantie américaine à Israël qui pourra affecter les questions du statut final... sont inacceptables et seront rejetées".
Le jour de la visite de Sharon à Washington, Yasser Arafat avait émis une déclaration hyperbolique de sa prison de Ramallah, en prédisant que les garanties données par Bush seraient "la fin du processus de paix" et annuleraient tous les accords pré-existants entre Israël et les Palestiniens -- comme s'il y avait eu un processus de paix, et comme si le papier sur lequel ils avaient été signés valait plus pour Bush comme pour Sharon.
Mais, vraiment, pourquoi tant de bruit ? Car Sharon et Bush n'ont rien dit de nouveau.
En réalité, la position de Sharon traduit un tournant significatif de sa part vers le camp traditionnellement "pro-paix" des Travaillistes, tandis que Bush n'a fait que re-phraser des formules déjà utilisées par le président précédent, Bill Clinton.
Rappelez-vous les vues émises par le précédent Premier ministre, du parti Travailliste, Ehud Barak, en mai 2001 dans le New York Times : ce qu'Israël devrait faire maintenant, c'est de prendre les mesures destinées à assurer à long terme une majorité juive. Ceci demande la mise en place d'une stratégie destinée à se désengager des Palestiniens -- même de façon unilatérale si nécessaire -- et celles d'un processus graduel pour établir des frontières sécurisées et défensibles, délimitées de façon à englober plus de 80 % des colons juifs dans divers blocs de colonies sur quelque 15 % de la Judée et de la Samarie, et à assurer une large zone de sécurité dans la Vallée du Jourdain. Nous devons ériger des barrières adéquates pour prévenir l'entrée de kamikazes et autres attaquants (24 mai 2001).
Quelle est donc la différence entre les vues de Barak de 2001 et celles de Sharon en 2004 ?
Alors que Barak est considéré comme "le faucon" au sein des Travaillistes, les choses ne sont pas mieux du côté des "colombes". Le successeur de Barak à la tête des Travaillistes, le Général Amram Mitzna, a été l'un des architectes de l'initiative dite de Genève -- un plan virtuel de paix signé par des politiciens israéliens de l'opposition et des ex-membres de l'Autorité palestinienne agissant avec la bénédiction d'Arafat.
Tentant de vendre les avantages de cette initiative à un public israélien dubitatif, Mitzna a écrit dans le Haaretz au mois d'octobre dernier : pour la première fois dans l'histoire, les Palestiniens reconnaissent explicitement et officiellement l'Etat d'Israël en tant qu'Etat du peuple juif, pour toujours. Ils ont abandonné leur droit de retour dans l'Etat d'Israël, et une majorité juive forte et stable est garantie.
Le Mur de Lamentations, le Quartier Juif et la Tour de David (ndt : dans la vieille ville de J'lem) resteront entre nos mains.
L'anneau qui étouffait tout a été enlevé du dessus de Jérusalem, et l'anneau complet de colonies tout autour de Jérusalem -- Givat Zeev, le vieux et le nouveau Givon, Maalé Adumim, Gush Etzion, Neve Yaacov, Pisgat Zeev, French Hill, Ramot, Gilo et Armon Hanatziv -- feront partie de la ville élargie, pour toujours.
Aucun des colons vivant dans ces zones n'auront à quitter leurs foyers (16 octobre 2003).
Mitzna a listé plus de colonies qu'il voulait garder que Sharon même ne le fait !
Yossi Beilin, du parti d'extrême-gauche Meretz, est un ex-ministre de la Justice, et l'un des moteurs de l'inititiative de Genève.
Beilin a confirmé l'interprétation donnée sur les critères de Genève fournis par Mitzna en février dernier dans le journal Maariv, en écrivant que si Israël et les Palestiniens arrivaient à signer un accord dans l'esprit de Genève, "Israël en sera largement bénéficiaire". Notamment, "une frontière Est internationalement reconnue ; une grande capitale incluant les banlieues juives à l'est de Jérusalem, le Quartier Juif et le Mur des Lamentations, reconnue par le monde entier, avec toutes les ambassades venant s'y installer de Tel-Aviv ; le problème des réfugiés définitivement réglé pour Israël, et toutes les résolutions de l'ONU remplacées par l'accord signé".
Mais quand Shlomo Ben-Ami, le ministre "colombe" des Affaires étrangères qui a dirigé les équipes de négociations à Camp David en juillet 2001 et à Taba en décembre 2001s'est mis à critiquer le plan de Genève, c'était surtout parce qu'il était trop généreux pour les Palestiniens.
Dans une interview le 11 décembre 2003 avec le journal français Le Figaro, Ben Ami s'est plaint que Beilin et les autres participants israéliens de Genève "se dépassaient les uns les autres au niveau des concessions".
En regardant donc cette accumulation de preuves, il n'y a pas de différence qualitative quelconque entre ce que Sharon d'un côté, et le "courant de la paix israélien" de l'autre, sont prêts à donner aux Palestiniens. Il y a quelques différences oratoires, et peut-être d'autres portant sur quelques pourcentages de la terre de Cisjordanie .
Sharon s'est engagé à garder Kiryat Arba près d'Hébron, considérée en Israël même comme le lit des fanatiques de la colonisation, tandis que le camp de la paix emmené par les Travaillistes serait prêt à le sacrifier, puisque ses habitants ne voteront jamais pour lui de toutes façons.
Ce qui est indiscutable, c'est que Sharon et son "opposition" s'accordent sur le fait que Gaza est un poids dont Israël a intérêt à se débarrasser, alors que la majorité des colons dans les grandes colonies de la Cisjordanie resteront précisément là où ils sont, et pour toujours.
Mais, en ce qui concerne l'Autorité palestinienne, il y a une différence -- non sur le fond -- mais sur la forme.
Alors que les Travaillistes ont historiquement préféré avoir l'approbation de l'Autorité palestinienne et son accord à la colonisation israélienne (et l'Autorité palestinienne, sauf quelques exceptions, s'est montrée obligeante), Sharon n'a pas besoin de l'Autorité palestinienne.
Ceci explique pourquoi les leaders palestiniens, s'ils sont tout prêts à faire un souk lorsque Sharon dit quelque chose, ils restent silencieux et coopératifs lorsque leurs "amis israéliens" du "camp de la paix" israélien disent la même chose ou même pire.
Pour les "ministres" palestiniens, la paix effective n'est pas une nécessité. Ce dont ils ont besoin, c'est d'un "processus de paix" qui n'en finit pas, dans lequel ils sont vus comme des "partenaires". C'est pour cela qu'ils ont sans cesse démontré qu'ils étaient prêts à payer n'importe quel prix à moins et jusqu'à ce que la pression sur le peuple qu'ils prétendent représenter les empêche de commettre d'irréversibles bévues.
Pour ceux du "camp de la paix" israélien, l'accord des Palestiniens aux termes humiliants sur lesquels eux-mêmes sont d'accord avec Sharon est de loin préférable à une action unilatérale parcequ'ils pensent que cela leur donnera ce qu'ils veulent plus que tout : une crédibilité internationale et la respectabilité, sans contre-partie significative pour Israël à ses gains mal acquis.
L'Autorité palestinienne, le "camp de la paix" israélien et tout un tas de commentateurs libéraux aux USA, tous trouvent qu'il est pratique de dire que c'est Sharon le problème.
Le vrai problème, c'est le consensus israélien voulant qu'un "Etat juif et démocratique" -- démographiquement et donc politiquement intenable -- en Palestine doit être préservé, entièrement au détriment des Palestiniens.
Reconnaître cette réalité veut dire avoir à faire face à une vérité désagréable : une juste et possible partition de la Palestine n'est pas aujourd'hui réalisable, si tant est que cela l'ait jamais été.
Sharon, l'homme qui a littéralement tenté de détruire le mouvement national palestinien et l'Etat Libanais, et qui a toujours cru que "la Jordanie, c'est la Palestine", recycle la politique raciste et extrémiste du parti Travailliste. Pour Sharon, cette politique apparaît soudainement modérée, ou comme Bush l'a désignée, une démonstration "d'audacité et de courage" qui mériterait un renvoi d'ascenseur par les Palestiniens.
On pourrait dire que ce qui distingue l'initiative de Sharon des déclarations antérieures des Travaillistes, c'est qu'il a réussi à avoir un président américain apporter un soutien public à ses positions. Mais là aussi, il y peu de nouveauté.
Le Président Clinton avait formulé ses "critères" pour une "paix" israélo-palestinienne lors d'un discours au Forum de Politique Israélienne le 7 janvier 2001, et confirmé ceux-ci par écrit à Barak et à Arafat avant qu'il ne quitte son poste. Les critères incluaient explicitement "l'inclusion dans Israël de blocs de colonies, avec l'objectif de maximiser le nombre de colons en Israël tout en minimisant l'annexion des terres". Clinton n'avait pas parlé de l'abandon de colonies, simplement de l'inclusion du plus grand nombre possible de colonies, dans leur intégralité, en Israël.
Sur le droit du retour, Clinton a déclaré : "Nous ne pouvons attendre d'Israël qu'il prenne une décision qui mettrait en péril les fondements mêmes de l'Etat d'Israël, et qui minerait toute la logique de paix. Et cela ne devrait pas se faire".
En d'autres termes, Clinton a explicitement avalisé les vues israéliennes selon lesquelles Israël devrait apposer son véto pour le retour de tout réfugié, de crainte qu'il ne mette en péril son "caractère juif".
En fait, Clinton a défini la notion de réfugiés rentrant chez eux en conformité avec le droit international et les résolutions des Nations-unies comme étant anti-paix. Arafat a accepté les critères déterminés par Clinton, et ils ont constitué la base des entretiens de Taba, auxquels tous les officiels palestiniens critiquant maintenant les déclarations de Sharon avaient allégrement participé.
La consternation maintenant exprimée par les leaders de l'Autorité palestinienne reflète aussi combien ils s'étaient mépris sur les caprices des Etats-Unis, et combien faible était leur foi dans la justesse de la cause palestinienne.
Qu'est-ce que cela peut faire que Bush soit contre le droit de retour, comme l'étaient Clinton et Barak ?
Le droit de retour existe toujours, et ne disparaîtra pas simplement parceque Bush et Sharon le veulent. Les Palestiniens, fort heureusement, ne tiennent pas leurs droits inaliénables des discours de George Bush.
Bien sûr, on pourrait dire que Clinton fait partie de l'histoire, et attester que l'administration (américaine) représente un nouveau et dangereux revers pour les Palestiniens.
C'est peut-être le cas, mais cela ne justifierait qu'à peine les déclarations outragées et la panique de l'Autorité palestinienne alors qu'elle a été un partenaire obligeant en approuvant, en encourageant et en faisant la promotion de tant d'idées israéliennes désastreuses, depuis si longtemps.
Source : http://electronicintifada.net/
Traduction : Claire Paque
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Ali Abunimah
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