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Jérusalem - 13 juin 2007
Par Meron Rappaport
La bataille pour Jérusalem a lieu actuellement dans une allée non goudronnée particulièrement dangereuse, au bout d'une pente si raide que, si on ne la prend pas à la bonne vitesse, le moteur de la voiture risque de caler à mi-chemin.
Les habitants de cette ruelle font partie de l'état souverain d'Israel depuis déjà 40 ans et quelques jours. Ils ont payé des impôts et des taxes municipales, mais cela - comment peut-on le dire ? - n'est pas vraiment évident.
Il est difficile même de dire que cette ruelle est négligée, parce que cette expression indiquerait qu'à une époque, on l'entretenait et que cela s'était terminé tout récemment. Ce n'est pas le cas avec cette ruelle dans le quartier de Silwan à Jérusalem : les autorités, ou qui que ce soit d'autre semble-t'il, n'y ont jamais touché.
Il y a quatre ans, un nouveau et splendide bâtiment de sept étages s'est imposé ici, au coeur de cette ruelle, à côté des maisons palestiniennes dont les appartements plus bas sont construits dans le sol, en raison en partie à l'interdiction de construire plus de deux étages dans ce quartier.
Les habitants juifs du bâtiment l'appellent Beit Yehonatan. Ils sont affiliés à l'association Ateret Cohanim qui a acheté la terre, financé la construction et installé les résidants dans les appartements
Les voisins arabes ne lui donnent pas de nom. Leurs enfants, qui reviennent de l'école en groupe, disent qu'ils en ont peur ainsi que du garde armé qui se tient devant la porte et a la main sur la gachette.
Le garde est déçu, selon lui, parce qu'il n'y a "pas d'action" dans ce quartier. Personne ne jète des pierres et personne ne lance des cocktails Molotov. "J'aimerais qu'il le fasse" dit-il. Les enfants palestiniens sont convaincus que son nom est Rambo, mais son vrai nom est Baruch.
Les jeunes palestiniens ont peur et ils sont aussi un peu jaloux des enfants de sept familles juives qui vivent dans Beit Yehonatan.
Ces enfants, disent-ils, en montrant le toit du bâtiment, doivent sûrement avoir une cour de jeu là-haut, parce qu'ils ne descendent jamais jouer dans la ruelle. En fait, ils ne sortent jamais du bâtiment. Ils entrent juste dans la voiture qui les attend à l'extérieur du bâtiment le matin, ils vont à l'école et ils reviennent l'après-midi. Ils ne vont pas à l'épicerie ou ne se promènent pas dans le quartier.
Nous ne leur avons jamais parlé, disent les enfants.
"J'ai peur" dit Jawaher. "J'ai peur" dit Zena. "J'ai peur" dit Majed, le plus jeune du groupe, petit et trappu. "je connais leur langue : Je leur dis ma nishma (comment ça va ?) et ils répondent beseder (tout va bien)."
Les adultes gardent le silence au sujet de leurs voisins juifs. "Ils s'occupent de leurs affaires et nous nous occupons des nôtres," dit une des femmes.
Tous ont entendu la rumeur que la cour a ordonné aux Juifs de quitter la maison, mais ils sont sceptiques. Ils ont une bonne raison.
Beit Yehonatan a été construit sans permis de construire. Même si un permis de construire avait été demandé, on ne lui aurait pas accordé parce que la stratégie globale du quartier mentionne le fait de limiter à deux étages les bâtiments dans cette partie de Silwan, alors que Beit Yehonatan en a sept.
Il y a quatre ans, les inspecteurs de la municipalité ont reconnu le bâtiment en tant qu'illégal. Il y a deux ans, ils ont collé un avertissement sur les portes des habitants juifs selon lequel leur bâtiment était illégal. Les habitants ont ignoré cette annonce.
Il y a plus d'un an, ils ont été condamnés par la Cour des affaires municipales de Jérusalem pour avoir utilisé illégalement la terre.
Il y a quatre mois, la cour a déclaré qu'ils devaient évacuer Beit Yehonatan et qu'il serait scellé le 14 avril de cette année. Cette date est passée et ils sont toujours là.
Si Beit Yehonatan est évacué, ce serait la première fois qu'un bâtiment juif est évacué depuis que la colonisation juive dans la partie Est de la ville a commencé après 1967. Et Beit Yehonatan n'est pas un seulement un bâtiment - en termes de colonisation juive à Jérusalem-Est, sept familles, c'est beaucoup.
Par comparaison, après plus de 20 ans d'effort concentré et des millions investis dans des acquisitions et des tentatives d'acquisitions, il y a moins de 30 familles qui vivent dans la ville de David. Un nombre identique vit dans le quartier Musulman de la Vieille Ville.
La "chute" de Beit Yehonatan sera perçue comme un véritable choc pour les colons de Jérusalem-Est. Au moins autant, voire peut-être encore plus, que le démantelement d'un grand avant-poste en Cisjordanie
Il n'y a aucun argument au sujet du fait que la résidence de sept familles juives dans Beit Yehonatan est illégale. Les résidants juifs n'ont pas vraiment pris la peine d'aider les inspecteurs de la municipalité de Jérusalem ou son conseiller juridique, Yossi Havilio, pour arriver à la vérité. Ils ont refusé, par exemple, de donner aux assistants de Havilio le nom des responsables de leur installation dans le bâtiment.
L'un d'eux a déclaré dans son témoignage à la cour qu'il avait pris contact avec le "représentant du bailleur" après qu'il ait reçu un avertissement que sa résidence dans le bâtiment n'était pas légale. Mais on lui a dit de ne pas répondre aux questions de l'inspecteur de la mairie.
Ce que les résidants n'ont pas dit, c'était qu'Ateret Cohanim était impliqué jusqu'au cou dans leur installation dans le bâtiment.
L'organisation s'est occupée de toutes les transactions avec les Palestiniens qui ont vendu la terre, et elle a envoyé l'un de ses représentants, Ami Deri, superviser les étapes de la construction. Deri a envoyé des rapports réguliers à l'association sur la façon dont la construction se passait.
Selon ces rapports - dont l'un est adressé personnellement à Matti Dan, qui dirige Ateret Cohanim - les paiements ont été effectués à un entrepreneur palestinien qui a construit le bâtiment. Aujourd'hui, cet entrepreneur, Mohamed Maraga, dit qu'il n'a pas installé les armatures nécessaires et que le bâtiment constitue réellement un danger au public.
Il est difficile d'être en désaccord avec lui. Dans son rapport, Deri indique qu'il "a seulement regardé" le bâtiment.
Maraga dit qu'il l'a fait avec des jumelles depuis une colline voisine. Il avait réellement peur d'aller à Silwan. De toute façon, il est peu probable qu'il ait pu s'assurer de l'utilisations des matériaux appropriés.
Le garde armé à l'entrée au bâtiment, dont le salaire, d'ailleurs, est payé par l'Etat, admet également que "du point de vue de la loi", il est interdit aux résidants de Beit Yehonatan d'y vivre.
"Que se passera-t'il quand les résidants sont évacués ?" "Évacués ?" dit le garde, étonné. "D'abord, tous les Arabes qui vivent ici doivent être évacués. Après tout, c'est notre pays." C'est le point fondamental.
Les résidants justifient leurs violations périodiques de la loi avec un argument fondamental : Nous sommes des juifs qui sommes venus nous installer dans un quartier Arabe, et donc, nous devons rester ici, peu importe ce que dit la loi.
"Vivre dans le bâtiment" dit Yehoshua Brosh, l'un des habitants qui a témoigné au tribunal des affaires municipales, "permet de faire respecter le précepte religieux de coloniser la terre d'Israël, l'une des bonnes actions que la Bible nous ordonne, ce qui révoque toute loi qui s'y oppose."
L'avocat des résidants, Yehiel Gutman, a déclaré lors d'une des audiences de la cour : "Je suis complètement convaincu qu'une heure après leur évacuation du bâtiment, il sera rempli de vie, de vie arabe. C'est pourquoi je crois qu'il est dans l'intérêt public qu'ils continuent à vivre dans ce bâtiment."
Pendant ce temps, les résidants de Beit Yehonatan y restent. La municipalité de Jérusalem a accepté d'accorder aux résidants une prolongation, donc ils peuvent faire appel de la décision de la cour du district. L'évacuation du bâtiment a été retardée et les procédures d'appel ont commencé cette semaine.
Les sources de la municipalité parlent d'une forte pression exercée sur eux par des membres de la Knesset, que ce soit de l'Extrème-Droite que de Kadima, pour empêcher l'évacuation du bâtiment. Il y a également eu des pressions excercées par des membres du conseil municipal, et pas seulement ceux du Parti national Religieux.
Nir Barkat, qui a été candidat de la communauté laïque de Jérusalem dans les dernières élections municipales et dirige aujourd'hui la plus grande faction de l'opposition dans la municipalité, a également donné un coup de main.
"Beit Yehonatan est construit sur les ruines du village Yemenite, au coeur du quartier de Silwan," a écrit Barkat dans une lettre adressée à Havilio fin mars, en adoptant l'un des arguments centraux utilisés par Ateret Cohanim. "Il y a les gens à Silwan qui violent les lois sur la construction en plein jour aux dépens de l'intérêt public et de celui de l'Etat d'Israël."
Pour cette raison, affirme-t'il, il est nécessaire que la municipalité intervienne et établisse l'ordre. Mais Barkat dit qu'on doit laisser Beit Yehonatan. "On doit essayer d'arriver à un compromis, geler l'évacuation des résidants du bâtiment et leur accorder du temps pour soumettre un plan de construction qui sera approuvé par la municipalité."
Havilio a refusé. "C'est une grave infraction aux lois sur la construction que de construire un bâtiment à plusieurs étages sans permis de construire," a écrit Havilio dans sa réponse. "J'ajouterai qu'à ce jour, malgré le fait qu'il y a eu un prolongation du processus judiciaire, aucun réel effort n'a été fait pour obtenir un permis de construire pour la structure."
Les sources de la municipalité de Jérusalem indiquent qu'un projet préliminaire a été soumis récemment pour l'approbation du bâtiment, mais il a été rejeté parce qu'il était très général.
Il est difficile de voir comment le bâtiment pourrait être approuvé puisque, comme cela a été indiqué, dans cette partie de Silwan, seuls les bâtiments de deux étages sont autorisés.
Même dans la nouvelle stratégie globale pour Jérusalem, qui n'a pas encore été officiellement approuvée, le quartier est situé dans une "zone d'observation" de la vieille ville, et donc, la taille des bâtiments est limitée. Il est également difficile de voir comment il est possible de soumettre des plans d'un bâtiment quand l'entrepreneur qui a construit la structure indique qu'elle est peu sûre.
L'argument de base de Barkat et celui de l'avocat des colons juifs, comme présentés dans l'appel, est que les juifs font l'objet de discrimination à Jérusalem-Est.
La construction illégale illégale des Arabes à Jérusalem-Est se poursuit librement, disent-ils, et la municipalité ne fait rien pour tenter de l'arrêter. Au lieu de cela, elle s'attaque aux résidants de Beit Yehonatan. La cour des affaires municipales a déjà rejeté cette affirmation mais maintenant l'affaire est présentée devant la cour du district. Même s'ils perdent l'appel, il n'y a aucune garantie que Beit Yehonatan soit évacué.
Yehoshua Pollack, l'adjoint au maire et le Président du comité local pour l'urbanisation et la construction, indique "qu'ils lui avaient dit" que son comité possédait l'autorité finale de mettre le bâtiment sous scellés, même après une décision de la cour du district.
Et depuis que ce comité a une majorité absolue de membres ultra-Orthodoxes, du Parti National Religieux et de la faction de Barkat, lui donner la responsabilité de prendre une telle décision c'est plus ou moins comme si on donnait la responsabilité au Conseil Yesha des colonies juives en Judée et Samarie (ndt : Cisjordanie ) de décider ou non l'évacuation des colonies.
Source : http://www.haaretz.com/
Traduction : MG pour ISM
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13 juin 2007